Gérard Garouste, portraits défigurés

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 503 mots

Fidèle à sa manière, Gérard Garouste ne pouvait aborder le genre du portrait ou de l’autoportrait qu’en mettant en jeu la question du sujet. Curieusement, lui qui n’a de cesse d’interroger le monde des formes d’une histoire universelle de la peinture ne s’était encore jamais pleinement essayé à celui de la représentation de ses contemporains. À l’exception de quelques figures de lui – ego artistique oblige ! –, comme ce portrait gouaché en Don Quichotte apocryphe qu’il a exécuté dans la foulée de son illustration du texte de l’auteur espagnol : un pur chef-d’œuvre d’analyse introspective ! Fort de l’expérience acquise à la fréquentation des grands thèmes, qu’ils soient mythologiques, religieux ou littéraires, l’artiste a récemment composé toute une galerie de portraits dont les modèles
semblent être les héros de quelques nouvelles aventures. Portraits de ses proches, autoportraits, portraits de commande, l’exposition des travaux récents de Garouste à la galerie Templon révèle une nouvelle fois l’extraordinaire capacité du peintre à la métamorphose. Si, du modèle à sa représentation, l’écart est considérable, chacun de ses portraits n’en révèle pas moins quelque chose de spécifique au sujet figuré. Garouste a beau jouer de toutes sortes de distorsions, de fragmentations et d’impertinences anatomiques, il a beau situer son sujet hors toute atteinte temporelle, dans un espace inventé non identifiable, il a beau user d’une palette aux tons extrêmes, voire hallucinés, quelque chose est là, devant nos yeux, d’une présence tangible et familière.
Quelque chose d’un hiatus est en effet à l’œuvre dans les portraits de Garouste qui distingue le visage du modèle représenté du reste du tableau et qui procède du protocole même de réalisation du travail. Pour ce faire, après avoir rencontré ses modèles chez eux pour mieux s’imprégner de leur environnement, après avoir croqué quelques esquisses et pris quelques photos, l’artiste a opéré dans son atelier en deux temps bien distincts. Le peintre a tout d’abord commencé par brosser le décor de fond de son tableau, ensuite il a placé tout un monde de signes et de symboles accompagnant le modèle puis il a figuré les éléments de corps de celui-ci, hormis la tête. Dans un second temps, Garouste s’est appliqué à peindre le visage du sujet portraituré, c’est-à-dire la partie la plus immédiatement repérable, inscrivant celui-ci au beau milieu du travail antérieur. Aurait-il voulu opérer à la façon dont procédaient ces photographes du temps jadis qui invitaient leur modèle à placer leur tête dans le trou spécialement aménagé à cet endroit d’une silhouette peinte sur bois, Garouste ne s’y serait pas pris autrement. Parce que la peinture agit ici comme liant, le résultat est tout autre, notamment dans cette façon paradoxale d’aboutir à une figure qui forme un tout et qui rend compte d’une entité, sinon d’une identité, alors même qu’elle apparaît dans le désordre d’une défiguration.

L'exposition

« Gérard Garouste, portraits », se tient du 6 mars au 24 avril, du lundi au samedi de 10 h à 19 h. PARIS, galerie Daniel Templon, 30 rue Beaubourg, IIIe, tél. 01 42 72 14 10.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Gérard Garouste, portraits défigurés

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