Disnovation - Il y a des mots qui font florès. « Innovation » est de ceux-là. Valeur cardinale du capitalisme avancé, le concept est dans toutes les bouches. Il justifie le déploiement de nouvelles technologies, accompagne les incantations à soutenir la croissance et fait de la production sans cesse renouvelée d’artefacts et de gadgets le vade-mecum d’un ordre économique décidé à faire « que tout change pour que rien ne change ».
L’art n’échappe pas à cette propagande de l’innovation, d’autant moins que, depuis les avant-gardes, il se trouve pris dans une course à l’inédit. L’artiste est un défricheur et, pour peu qu’il mobilise les technologies les plus récentes, il est alors susceptible d’être tenu pour un démonstrateur de ces dernières, autrement plus zélé qu’un département R&D, autrement plus séduisant qu’une plaquette de communication.
De crise économique en catastrophe écologique, d’ubérisation en transhumanisme, la rhétorique de l’innovation craque de toutes parts et laisse entrevoir un horizon de ruines. Alors, pour ne pas en être les « idiots utiles », une poignée d’artistes, de théoriciens, d’activistes et de chercheurs ont créé en 2012 un groupe de recherche nommé Disnovation, d’après un néologisme de Chatonsky. L’enjeu : complexifier le discours de l’innovation et tracer des échappées, expérimenter des chemins de traverse via un ensemble de projets curatoriaux et éditoriaux. « Ce qui m’intéressait, explique l’artiste Nicolas Maigret, qui en est membre fondateur, c’était de problématiser notre rapport à la technologie et à l’innovation. L’idée était de réunir des regards désobéissants, déviants, transversaux et susceptibles de révéler les mécanismes et les rouages de nos systèmes de dépendances. Il s’agit de sortir des grands axes narratifs autour de notre rapport à la technologie. »
Dernière-née du Disnovation Research Group, l’exposition « Futurs non conformes », dont l’espace virtuel du Jeu de paume héberge depuis le 16 mai dernier le troisième volet. Après « Mythologies » et « Passages à l’acte », celui-ci aborde quelques « futurs déviants » en rupture avec la « panne des imaginaires technologiques » décrite par Nicolas Nova dans l’ouvrage du même nom. Nicolas Maigret et Maria Roszkowska y rassemblent une petite dizaine d’auteurs, d’artistes ou de chercheurs qui proposent « un ensemble de projets alternatifs, d’utopies ou encore de fictions dans lesquels les imaginaires du futur s’hybrident et se pervertissent ». Parmi eux, Autonomous Trap 001 de James Bridle, un hack en forme de rituel destiné à paralyser une voiture sans chauffeur ; The Screenless Office de Brendan Howell, qui envisage un système opérateur sans écran ; City Everywhere de Liam Young, où se dévoilent des architectures spéculatives, ou Human Power Plant de Melle Smets et Kris De Decker imaginant une production d’énergie fondée sur le potentiel de l’être humain… Tour à tour drôles, dérisoires ou dysphoriques, ces disnovations ne sont plus tout à fait de l’ordre de la critique ou du commentaire : elles esquissent déjà des « contre-stratégies » et se donnent pour autant de braconnages possibles sur les terres bien gardées du futur, dont elles dévoilent souvent par l’absurde un envers possible.
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Futurs pirates
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°702 du 1 juin 2017, avec le titre suivant : Futurs pirates