Après Essen et Munich, mais avant Londres et Copenhague, le KunstÂhaus de Zurich accueille quelque deux cents chefs-d’œuvre archéologiques chinois datant de 5000 avant J.-C. à la fin de la dynastie des Han (220 après J.-C.). La plupart d’entre eux, découverts récemment dans des tombes ou des fosses sacrificielles, sont montrés pour la première fois hors de Chine.
ZURICH - À l’automne 1989, après l’apparition de nombreux bronzes rituels sur le marché noir dans la province de Henan, les autorités locales se virent dans l’obligation d’effectuer des fouilles sur les rives du lac artificiel de Danjiang, au cours desquelles plus de 150 objets en bronze furent mis au jour. Mais les pilleurs ne sont pas les seuls à être – indirectement – à l’origine de l’enrichissement des collections des dix-neuf musées et instituts archéologiques chinois qui ont prêté les 200 pièces aujourd’hui exposées au Kunsthaus de Zurich. En pleine révolution culturelle, les gardes rouges y avaient eux aussi fortuitement contribué, en tombant par hasard sur un incroyable habit mortuaire du prince Liu Sheng, daté de 113 av. J.-C. Composé de 2 498 plaquettes de jade cousues de fils d’or, cette armure était censée prévenir la décomposition du corps après la mort.
S’attachant plus particulièrement aux représentations humaines et anthropomorphiques dans l’art de la Chine ancienne, les organisateurs de l’exposition – Roger Goepper, Jeonghee Lee-Kalisch et Peter Wiedehage, en collaboration avec le China Cultural Relics Promotion Center de Pékin, qui a demandé une somme équivalant à 500 000 francs par mois d’exposition à chacun des cinq musées d’accueil – ont sélectionné un nombre impressionnant de pièces surprenantes. Quelle est par exemple l’origine de ce visage aux lignes anguleuses que souligne un masque d’or, largement évidé au niveau des yeux, illustrant l’affiche de l’exposition ? Difficile de rattacher cette expression inhabituelle à un courant stylistique quel qu’il soit, et pour cause... elle émerge de plus de trente siècles d’oubli. Issue de la culture Shu (XIIIe et XIe siècles av. J.-C.), cette tête fait partie d’un vaste ensemble découvert en 1986 à Sanxingdui, à 40 km au nord de Chengdu. De même, le visiteur risque d’être intrigué par un phallus surdimensionné, cône néolithique en terre cuite haut de 157 cm, mis au jour à Fanshan dans le district de Yuhang (province de Zheijang).
Empereurs et peintres
Plus loin, c’est un animal fabuleux en bronze, le chef surmonté d’un bois de cerf, ou une créature fantastique en bois, à tête de tigre et aux membres couverts de reptiles, qui retiennent l’attention (culture Chu). Ils faisaient sans doute office de passeurs pour l’âme des défunts, tels le marquis de Yi, enseveli vers 433 av. J.-C. en compagnie de vingt et une femmes et d’un chien… La fin de l’exposition démontre, statuettes à l’appui, que cette dernière "tradition" sera progressivement abandonnée sous l’influence grandissante du confucianisme, au profit de représentations en bronze, en bois ou en terre cuite d’animaux et d’êtres humains (voir photo).
De son côté, le Musée Rietberg s’interroge sur l’aspect politique de la peinture chinoise, en rappelant au passage que si certains pays peuvent s’honorer d’avoir eu à leur tête un écrivain – la République tchèque d’aujourd’hui, par exemple – ou un musicien – la Pologne de Paderewski –, rares sont ceux qui peuvent s’enorgueillir d’avoir été dirigés par un peintre. Ce fut plusieurs fois le cas en Chine, par exemple entre 1101 et 1125, sous le règne de l’empereur Huizong, dont la délicate composition Pinsons et bambou ne dépareille pas l’ensemble de trente-neuf peintures chinoises du XIe au XVIIIe siècle prêté par le Metropolitan Museum.
DAS ALTE CHINA (La Chine ancienne, homÂmes et dieux dans l’Empire du Milieu), jusqu’au 14 juillet, Kunsthaus, Zurich, tlj sauf lun., mar.-jeu. 10h-21h, ven.-dim. 10h-17h. British Museum, Londres, 13 sept.-15 jan. Cat. en all., Roger Goepper, éd. Hirmer Verlag, 500 p., 200 ill. coul. et n & b, 45 FS (190 FF).
MANDAT DES HIMMELS (Mandat du ciel, empereurs et artistes en Chine), jusqu’au 14 juillet, Museum Rietberg, Zurich, mêmes horaires. Cat. en all. et en angl., Wen C. Fong, Richard M. Barnhart, Maxwell K. Hearn, 237 p., 120 ill. coul. et n & b, 45 FS (190 FF).
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Zurich en ombres chinoises
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°25 du 1 mai 1996, avec le titre suivant : Zurich en ombres chinoises