Art ancien

Une Renaissance qui ne dit pas son nom

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 22 septembre 2010 - 1177 mots

Le Grand Palais réunit les collections des musées de Cluny, d’Écouen et du Louvre pour évoquer les arts en France autour de 1500.

Il y a cinq ans, la Réunion des musées nationaux (dont la programmation des expositions était alors assurée par Guy Cogeval, actuel directeur du Musée d’Orsay) projetait d’organiser pour le Grand Palais une vaste manifestation sur les arts en France « de Jeanne d’Arc à François Ier » en convoquant les musées nationaux de Cluny, d’Ecouen et du Louvre.

Les trois institutions, associées par la suite à un quatrième partenaire, l’Art Institute of Chicago, ont décidé de recentrer le propos sur une séquence méconnue de l’histoire de l’art : la France autour de 1500. Une période marquée par les règnes de Charles VIII (1483-1498) et Louis XII (1498-1515), deux rois auxquels les historiens ont largement préféré leur successeur François Ier.

La vaste exposition organisée au Louvre en 2004 « Paris 1400 : les arts sous Charles VI » avait déjà révélé au public une production artistique d’une grande richesse. Beaucoup plus fragmenté – car envisagé à l’échelle du royaume –, ce nouvel opus témoigne d’« une vision multiple mais cohérente », résume Geneviève Bresc-Bautier, l’une des commissaires de « France 1500 », là où l’historien de l’art Henri Zerner mentionne, dans le catalogue, une « époque de transition, faite d’inventions souvent disparates ». Sous-jacente à la démonstration se lit une question : qu’est-ce que la Renaissance en France ? « Contrairement à l’Italie où de nombreuses théories sont développées, en France, les artistes n’ont pas conscience d’appartenir à la Renaissance », précisent de concert Geneviève Bresc-Bautier et Élisabeth Taburet, également commissaire.

Épanouissement du vitrail
Entre 1480 et 1515, la production artistique en France se démarque par l’héritage de Jean Fouquet, mais aussi une accélération des échanges avec l’Italie, un lien continu avec les pays du Nord et une grande diversité des techniques. L’architecture est le champ de nouvelles inventions tandis que la sculpture connaît une grande activité, comme en témoignent les nombreuses pièces réunies aujourd’hui, tels La Vierge de Grasse prêtée par le Musée des Augustins à Toulouse, le Tombeau des dauphins, enfants de Charles VIII en marbre signé Michel Colombe et conservé à la cathédrale Saint-Gatien de Tours, ou la délicate Vierge à l’Enfant attribuée à Guillaume Regnault. Signalons également l’émouvante Vierge de Pitié (1500-1515) de l’église Saint-Martin de Bayel (Aube) exécutée par le Maître de Chaource, que les historiens rapprochent du Troyen Jacques Bachot.

La pratique des émaux peints connaît un nouveau départ et la tapisserie demeure un art majeur. Même si peu d’œuvres sont parvenues jusqu’à nous en raison de la grande fragilité des tentures, il subsiste de beaux exemples parmi lesquels la célèbre Dame à la licorne. Si l’œuvre phare du Musée de Cluny n’a pu faire le déplacement, les visiteurs se consoleront avec ce Narcisse prêté par le Museum of Fine Arts de Boston (Massachusetts), parmi les pièces de choix. 

Autre spécialité française, le vitrail a connu un bel épanouissement durant cette période. En attestent les fragments subsistants tel le séduisant Saint Adrien (vers 1510) de la cathédrale de Louviers (Eure). La miniature reste, quant à elle, un art de premier plan, représenté par des artistes tels que Jean Bourdichon, formé auprès de Jean Fouquet à qui il succède comme peintre du roi en 1481, auteur des Grandes Heures d’Anne de Bretagne ; Jean Poyet, qui illustra les Heures d’Henri VIII à l’aide de 58 miniatures ; ou encore Jean Colombe. « C’est un topos d’affirmer que la miniature, la tapisserie, le vitrail, sont la peinture de la France, souligne Henri Zerner. La peinture proprement dite a une esthétique à elle et appelle un mode de perception différent des arts qui dominent encore en France à la même époque. Le caractère distinct de l’art français vers 1500 est précisément de ne pas être soumis à cette esthétique de la peinture. »

Jean Hey, peintre par excellence de la période
Les peintres jouent un rôle de première importance en intervenant dans divers domaines : certains exécutent des cartons de tapisserie, des dessins destinés à des verrières, parfois même des modèles pour la sculpture… Il est ainsi particulièrement difficile de mettre un nom derrière une production aussi multiple. Plusieurs artistes polyvalents ont cependant pu être identifiés. Ainsi du Maître des Très petites heures d’Anne de Bretagne, qui est probablement Jean d’Ypres, dont certains modèles sont repris dans des tapisseries. Son groupe serait à l’origine de la tenture « des Femmes vertueuses » (ici Pénélope conservée à Boston) et aussi d’une pièce de la tenture « de la Vie et des mystères de la Vierge » (ici une Annonciation conservée à Cluny). Le peintre par excellence de cette période reste sans conteste le Maître de Moulins autrement dit Jean Hey. Le Grand Palais a réuni un ensemble significatif de son œuvre : des portraits (ceux du cardinal Charles de Bourbon ou de Marguerite d’Autriche respectivement conservés à Munich et New York) ; l’Annonciation prêtée par Chicago et choisie non par hasard comme emblème de l’exposition ; l’Ecce Homo des Musées royaux des beaux-arts de Belgique ; ou encore ce Saint soldat et donateur en provenance de Glasgow (Écosse).

Pour rendre compte de ce foisonnement artistique, les commissaires et leur comité scientifique ont opté pour un parcours thématique, soulignant l’importance des commanditaires et la diversité des foyers dont la création était motivée par les différentes capitales politiques du royaume, le Val de Loire, le Bourbonnais, la Normandie, la Champagne, le Berry, Paris ou Lyon. Ces données géographiques représentent des repères tout relatifs puisque les artistes étaient d’une grande mobilité et travaillaient pour différents commanditaires, à l’instar de l’enlumineur Jean Colombe qui œuvrait pour la famille royale de France et le duc de Savoie tout en proposant ses services à de riches familles de marchands installés à Troyes.

Le parcours s’achève sur les échanges avec le Nord et le Sud, illustrant le goût, avant François Ier, pour les œuvres d’artistes tel Léonard de Vinci dont est présentée La Belle Ferronnière (1495-1497). Le public pourra découvrir pour la première fois les quatre panneaux subsistants du retable du Maître de saint Gilles, réparti entre Londres (National Gallery) et Washington (National Gallery of Art). La manifestation offre enfin l’occasion de confronter quantité d’œuvres originales, afin de confirmer ou infirmer les nombreuses hypothèses sur cette période particulièrement féconde.

FRANCE 1500

Jusqu’au 10 janvier 2011, Galeries nationales du Grand Palais, 75008 Paris, tlj sauf mardi et 25 décembre, 10h-20h et 22h le mercredi. Catalogue, éditions RMN, 400 p., 49 euros. L’exposition sera présentée dans une version modifiée à l’Art Institute of Chicago du 26 février au 29 mai 2011.

Commissaires : Geneviève Bresc-Bautier, directrice du département des Sculptures du Musée du Louvre ; Thierry Crépin-Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance – château d’Ecouen ; Élisabeth Taburet-Delahaye, directrice du Musée national du Moyen Âge – thermes de Cluny ; et Martha Wolff, conservatrice des peintures et sculptures européennes avant 1750, fonds Eleanor Wood Prince, The Art Institute of Chicago
Nombre d’œuvres : 200
Scénographie : Hubert Le Gall

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°331 du 24 septembre 2010, avec le titre suivant : Une Renaissance qui ne dit pas son nom

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