Pour la première fois, les plus belles œuvres de la collection Winthrop, jusqu’ici conservées au Fogg Art Museum de l’université d’Harvard (près de Boston), sont présentées en Europe, au Musée des beaux-arts de Lyon. D’une grande cohérence, cet ensemble riche en dessins du XIXe siècle recèle des chefs-d’œuvre de Prud’hon, Ingres, Géricault, Delacroix, Gustave Moreau, Burne-Jones, Rossetti, Seurat ou Whistler.
LYON - Profondément réservé, voire secret, le collectionneur américain Grenville Lindall Winthrop (1864-1943) vécut sa passion pour les œuvres d’art de manière très confidentielle, ne la partageant qu’avec un cercle restreint de parents ou de proches. Cette discrétion explique probablement le peu de bruit fait autour de la collection de son vivant. Après sa mort, ses 4 000 peintures, dessins et objets d’art demeurèrent peu connus du grand public, le legs de Winthrop au Fogg Art Museum de l’université d’Harvard stipulant que ses œuvres ne pouvaient voyager (lire l’encadré). Pourtant, à la faveur de la fermeture du musée pour travaux, cent trente-six chefs-d’œuvre de cet ensemble sont pour la première fois présentés en Europe. De la main d’artistes français, anglais et américains du XIXe siècle, ils sont exposés au Musée des beaux-arts de Lyon avant d’être accueillis par la National Gallery de Londres, puis au Metropolitan Museum de New York.
Le culte du beau
Évoquant la personnalité et les goûts du collectionneur, plusieurs photographies accueillent le visiteur : elles livrent l’image d’un homme élégant et solitaire – Grenville L. Winthrop, en costume noir et nœud papillon, nourrissant des faisans dans sa maison de campagne –, vivant entouré de ses trésors dans une “maison-musée” de dix-huit pièces. Issu d’une famille de la haute société new-yorkaise, Winthrop renonça au tournant du siècle à sa carrière d’avocat pour se consacrer exclusivement à son goût de la collection. Les années qu’il passa à Harvard, où il suivit les cours d’esthétique de Charles Eliot Norton, furent fondamentales dans la naissance de cette nouvelle vocation. Guidé par son amour de la beauté, seul critère qu’il revendiquait explicitement – “Ce que nous recherchons dans une collection, écrivait-il, doit posséder une musique, une poésie, un rythme propre, autrement dit, être doté de beauté” –, mais aussi par les conseils éclairés du marchand Martin Birnbaum, il s’intéressa à un domaine spécifique : le dessin du XIXe siècle. “N’est-il pas vrai qu’un bon dessin, ligne ou contour, une bonne composition, sont essentiels à la beauté ?” poursuivait-il.
Chronologique, alors qu’il aurait peut-être été plus aisé de présenter les œuvres par école (française, anglaise et américaine), le parcours débute sur des aquarelles de William Blake et des dessins à l’encre de John Flaxman, “artiste qui faisait l’admiration de M. Winthrop par la délicatesse de sa ligne musicale et de sa composition” (Martin Birnbaum). Sont ensuite proposés, au fil d’un circuit labyrinthique quelque peu déroutant, les peintres français les mieux représentés dans la collection : David, Ingres, Géricault et Gustave Moreau. Du premier, Winthrop réunit des œuvres qui constituaient à l’époque un ensemble inégalé. Parmi ses pièces maîtresses, citons le portrait peint de Sieyès (1817), deux carnets de croquis couverts de dessins préparatoires au Sacre de l’Empereur Napoléon Ier, ainsi que la grande étude pour Le Serment du Jeu de paume (vers 1790). Tout aussi impressionnant est l’ensemble formé par les œuvres d’Ingres, comprenant de délicats portraits dessinés (le Portrait de Mme Charles Hayard et de sa fille Caroline, 1815), quelques études et des peintures de premier plan, à l’image de Raphaël et La Fornarina (1814) et surtout de la célèbre Odalisque à l’esclave (1837-1840). Winthrop était particulièrement fier de ces groupes d’œuvres qui, selon lui, méritaient “d’être étudiés par les prétendus artistes d’aujourd’hui qui ignorent tout du dessin”. La fascination du collectionneur pour la représentation de la figure humaine transparaît également dans les compositions de Géricault (Marché aux bœufs, 1817), Chassériau (Cavaliers arabes enlevant leurs morts, 1850) et surtout Gustave Moreau, qui fut l’un de ses artistes de prédilection (Le Jeune homme et la Mort, 1856-1865 ; Jacob et l’Ange, 1878).
Une collection à vocation encyclopédique
“À la fin de sa vie, les acquisitions de Winthrop composaient autant une collection d’œuvres d’artistes majeurs du XIXe siècle qu’un fonds représentatif de ses différents courants”, souligne Stephan Wolohojian, conservateur au Fogg Art Museum, dans le catalogue de l’exposition. À côté des artistes dits classiques, romantiques ou symbolistes, figure ainsi l’un des plus beaux ensembles d’œuvres préraphaélites jamais réuni. Le Musée des beaux-arts de Lyon en présente quelques fleurons, tels le cycle des Jours de la Création (1875-1876) par Edward Burne-Jones, aux subtils effets de couleurs, ou l’envoûtant Ramoscello (1865) de Rossetti, tableau allégorique inspiré de la Renaissance vénitienne. L’éclectisme des choix de Winthrop et son désir de donner à sa collection une dimension encyclopédique sont également illustrés par l’achat d’œuvres “modernes”, comme l’étonnant Paysan de Camargue (1888) saisi à la mine de plomb et à l’encre brune par Van Gogh, le luxuriant Bouquet printanier (1866) de Renoir, la Course de chevaux à Longchamp (1864) par Manet ou encore les dessins de Seurat, où la ligne se dissout dans des voiles très légers de crayon Conté.
Enfin, le collectionneur ne dédaigna pas certaines des productions de ses compatriotes, au premier rang desquels Whistler – dont se distingue l’audacieux Nocturne en bleu et argent (1871-1872)–, Homer et Sargent. Espérons qu’à l’issue de cette exposition, Winthrop fera enfin parler de lui...
Jusqu’au 26 mai, Musée des beaux-arts de Lyon, 20 place des Terreaux, Lyon, tél. 04 72 10 17 40, tlj sauf mardi 10h-18h, le vendredi 10h30-20h. L’exposition ira ensuite à la National Gallery de Londres (25 juin-14 septembre) puis au Metropolitan Museum of Art, à New York (20 octobre 2003-25 janvier 2004). Catalogue éd. Réunion des Musées Nationaux, 519 p., 45 euros.
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Abonnez-vous dès 1 €Comment la collection de Grenville L. Winthrop a-t-elle pu quitter l'enceinte de l'université d'Harvard, alors que le legs du collectionneur stipulait qu'elle ne devait jamais en sortir afin de demeurer en permanence visible pour les étudiants ? Contactés à ce sujet, Vincent Pomarède, directeur du Musée des beaux-arts de Lyon, et Stephan Wolohojian, commissaire de l'exposition et conservateur au Fogg Art Museum d'Harvard, ont déclaré ne pas connaître précisément les tenants et les aboutissants juridiques du dossier. Selon Matthew Barone, attaché de presse du Fogg Art Museum, "l'administration du musée, qui a étudié de près les clauses du legs de G. Winthrop, n'a trouvé aucun élément indiquant que la collection ne pouvait voyager. La condition première était que les œuvres ne soient pas séparées. Or aucun objet n'a été prêté indépendamment des autres", précise-t-il. Déjà, l'exposition Barnes avait permis en 1994 de financer les travaux de rénovation de la fondation du même nom.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°168 du 4 avril 2003, avec le titre suivant : Une passion très privée