Les Archives nationales apportent un éclairage édifiant sur cette période particulièrement trouble de la France du XXe siècle, la collaboration sous l’Occupation.
PARIS - En 1974, Lacombe Lucien avait suscité un malaise. Ce film de Louis Malle narrant l’histoire d’un jeune Lotois ayant rejoint la Gestapo française par dépit d’avoir été jugé trop jeune pour entrer dans les rangs de la Résistance, touchait un point sensible et encore tabou de l’histoire du pays. Qu’un gamin de bonne volonté puisse sombrer par déception dans le côté obscur de la force avait de quoi choquer. Collabos, résistants ou gens simples s’accommodant des circonstances, les souvenirs des uns se heurtaient à la mémoire encore fraîche des autres. C’est nécessairement avec du recul et surtout grâce à l’objectivité des documents historiques que les Archives nationales se penchent aujourd’hui sur ce « lourd et complexe héritage », à l’occasion du 70e anniversaire de la Libération. Parce que l’Occupation est une période complexe, un nuancier de gris aux variations infinies, ce délicat travail de relecture a été confié à deux spécialistes du sujet, Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, et Thomas Fontaine, chercheur associé au Centre d’histoire sociale du XXe siècle.
Il ne fallait pas être moins de deux pour s’attaquer à ce monstre à trois têtes que fut le vaste dispositif dénommé « collaboration » : les autorités nazies, le gouvernement de Vichy et les partis collaborationnistes parisiens. Après un bref rappel chronologique des moments-clés de la période 1940-1945, le parcours de l’exposition prend à bras-le-corps ce sinistre trio dans lequel chacun joue sa propre partition – Berlin, que la France intéresse pour ses richesses et sa main-d’œuvre ; Vichy, qui nourrit des fantasmes de souveraineté ; et Paris, pour qui l’assujettissement national se justifie par la lutte contre l’ennemi commun, la Russie. Une fois ces trois pôles et leurs enjeux clairement identifiés, sont déclinées les grandes facettes d’une collaboration dont l’ombre s’est étendue sur la société en son entier.
De la police aux artistes
La collaboration s’est d’abord concrétisée par la coopération policière. Plus les brigades françaises se révélaient efficaces dans l’organisation des déportations et la répression des communistes et des francs-maçons, plus elles obtenaient d’autonomie – en témoigne une glaçante boîte de recensement des Juifs réalisée par la Préfecture de police de Paris. Elle a ensuite touché le judiciaire : si les Français se chargent des arrestations, les Allemands gardent la main sur le déroulement des procès. Sur le plan culturel, elle s’est traduite par la mainmise sur la presse, les éditeurs, les expositions de propagande, les lieux de spectacle et le ralliement des artistes tels Van Dongen, Vlaminck ou Derain photographiés au moment d’embarquer pour un voyage officiel en Allemagne. Enfin, l’Histoire est abordée du point de vue économique, la plupart des entreprises nationales ayant subi une adaptation forcée en destinant les trois quarts de la production au Reich. Les Français, tous collabos ? Non, répond Denis Peschanski : une minorité était engagée dans l’action résistante, tout comme une minorité l’était dans la milice aspirant à l’instauration d’un régime fasciste. Entre les deux, il existait une masse majoritaire rejetant l’occupation et la collaboration et dont la résilience a fait le terreau de la Libération.
Précis et complet, le parcours de l’exposition emmène le visiteur dans les entrailles d’une effroyable machine. Quelque 300 objets témoignent du cauchemar : des fiches d’identité tamponnées d’un « JUIF » en grandes lettres rouges, des caricatures de propagande, et surtout la malle de Jacques Doriot abritant encore son uniforme d’« Oberleutnant ». Ce chef du Parti populaire français était parti rejoindre le front allemand, entraînant dans son sillage et vers leur mort les camarades de Lucien Lacombe.
Commissaires : Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS ; Thomas Fontaine, chercheur associé au Centre d’histoire sociale du XXe siècle
Scénographie : agence Point de Fuite
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Une page sombre de l’histoire de France
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Abonnez-vous dès 1 €La Collaboration (1940-1945), jusqu’au 5 avril, Archives nationales, hôtel de Soubise, 60, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 40 27 60 96, www.archives-nationales.culture.gouv.fr, tlj sauf mardi 10h-17h30, samedi et dimanche 14h-17h30, entrée 6 €. Publication, « La Collaboration. Vichy, Paris, Berlin (1940-1945) », coéd. Tallandier/ministère de la Défense/Archives nationales, 313 p., 39,90 €.
Légende photo
Bureau de recrutement de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, Charenton, mai 1944, Archives nationales, Paris. © Archives nationales/Alain Berry.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°429 du 13 février 2015, avec le titre suivant : Une page sombre de l’histoire de France