L’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris consacre une remarquable exposition aux outils pédagogiques de la représentation du corps.
PARIS - Avec cette exposition, aussi réussie sur le fond que sur la forme, l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (Ensba) rend accessible au public une partie fascinante de son pléthorique matériel pédagogique. Celui qui a servi, de la création de l’école au XVIIe siècle jusqu’au XIXe siècle, à l’enseignement de l’anatomie. Les collections de l’Ensba en conservent des témoignages dans toute leur diversité, des livres anciens aux moulages, des écorchés aux chronophotographies, des dessins de Dürer aux croquis de Paul Richer… Son commissaire, Philippe Comar, plasticien et professeur de morphologie dans l’établissement, le précise d’emblée : « L’exposition ne raconte pas l’histoire de la figuration du corps par les artistes mais montre quels ont été les outils conceptuels et les instruments pratiques qui ont servi à l’enseignement. » Sur des tables à dessin aux lignes épurées, encombrées de moulages et sculptures restituant l’atmosphère de l’atelier, le parcours suit un développement à la fois chronologique et thématique. Dès sa création, en 1648, l’Académie royale de peinture et de sculpture, ancêtre de l’Ensba, place l’enseignement des académies d’hommes nus au cœur de sa pédagogie. L’exemple vient de l’Académie de dessin de Florence, ouverte au XVIe siècle. Alors que les traités de Dürer (1528) ou de Giovanni Paolo Lomazzo (1584) illustrent le choix de la géométrie pour déterminer les règles du beau, le livre de Vésale (1543), tout comme le petit écorché inspiré par Michel-Ange, témoignent de la percée de la science anatomique.
À partir du XVIIIe siècle, le type de l’écorché, ou « corps sans écorce », domine l’enseignement. Le célèbre modèle créé par le sculpteur Houdon est symptomatique de l’attitude des artistes. « Houdon a suivi des cours de dissection à Rome, explique Philippe Comar. Son modèle est donc juste mais, en même temps, il ne peut s’empêcher de l’idéaliser pour donner une certaine élégance à la pose. » Le sculpteur a donc le dernier mot sur l’anatomiste. Houdon n’est pas le seul à procéder ainsi. Sur ses estampes en couleurs, Jacques Fabien Gautier-Dagoty figure une élégante au dos entièrement écorché. Dès la fin du siècle, la connexion entre cette passion pour l’anatomie et la fascination pour l’antique est à l’origine de créations pour le moins étonnantes. Tous les antiques passent alors au crible de l’écorché : ainsi du Gladiateur Borghèse ou de la tête de l’Apollon du Belvédère. Comme si le modèle du beau idéal de la sculpture grecque pouvait révéler, intrinsèquement, une perfection anatomique. « On sait pourtant, aujourd’hui, que les Grecs ne pratiquaient pas la dissection », souligne Philippe Comar.
L’anatomie est devenue un sujet artistique à part entière et des cours de dissection sont désormais enseignés à l’École. La fascination pour la morbidité est poussée à son comble avec les autoportraits en écorché du modeleur Jules Talrich.
Si l’arrivée de la photographie, vers 1830, supplante le modèle vivant, elle n’atténue pas pour autant cette fascination ambivalente pour la science. Quitte à en suivre les dérives évolutionnistes, dont les théories sont enseignées dès 1873 à l’école. La personnalité marquante est alors Paul Richer, dont un certain nombre de travaux sont ici présentés de manière inédite. Médecin devenu illustrateur attitré du professeur Charcot, spécialiste des maladies nerveuses à la Pitié-Salpêtrière, Richer sera également enseignant aux Beaux-Arts. Il y participe à une entreprise de mise en règle du corps par la science, dans une quête de perfection morphologique qui annonce les dérives racistes des années 1930. En montrant la désinvolture de certains artistes de l’époque à réutiliser ces analyses spécieuses à de seules fins plastiques, l’exposition n’élude pas la question des rapports troubles existant entre arts et sciences
En contrepoint à cette exposition et son épais catalogue, l’ouvrage de Morwena Joly, docteur en histoire de l’art et conservatrice des bibliothèques, poursuit la problématique de la fascination des artistes pour l’anatomie, au-delà des seuls outils conceptuels. Accompagné d’une très riche iconographie et de photographies dues à Giovanni Ricci Novara, ce « beau-livre » s’interroge sur la constitution progressive de l’anatomie comme sujet artistique à part entière, jusqu’à l’époque romantique, et tente d’en expliquer les raisons.
Morwena Joly, La Leçon d’anatomie. Le corps des artistes de la Renaissance au romantisme, photographies de Giovanni Ricci Novara, éd. Hazan, 240 p., 79 euros, ISBN 978-2-7541-0298-8
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Une magistrale leçon d’anatomie
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €jusqu’au 4 janvier 2009, École nationale supérieure des beaux-arts, Galeries d’exposition, 17, quai Malaquais, 75006 Paris, tlj sauf lundi 13h-19h, www.beauxartsparis.fr
Catalogue, collectif, éd. de l’Énsba, 500 p., 45 euros, ISBN 978-2-84056-269-6
Figures du corps
- Commissaire : Philippe Comar, professeur de morphologie à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris
- Scénographe : Alexis Bertrand
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°291 du 14 novembre 2008, avec le titre suivant : Une magistrale leçon d’anatomie