Entre journal intime et road movie, l’œuvre de Stephen Shore explore l’Amérique des années 1970.
PARIS - Des routes à perte de vue sous un soleil de plomb, des chambres de motels et des voitures garées dans des stations-service désertes : l’Amérique photographiée par Stephen Shore ressemble à un décor de cinéma. Ses images grand format aux couleurs fortes décrivent une époque – celle des années 1970 – autant qu’elles dressent un état des lieux des territoires traversés, de la Californie au Montana, de l’Ohio à l’Arizona en passant par le Texas, l’Arkansas ou la Floride.
Né en 1947 à New York, Stephen Shore est initié très tôt à la photographie, son premier appareil lui étant offert à l’âge de 8 ans ; à 14 ans, il contacte Edward Steichen, directeur du département photo du Museum of Modern Art (MoMA) à New York, qui lui achète trois tirages. De 1965 à 1968, il travaille à la Factory d’Andy Warhol et réalise de nombreuses prises de vue, développant son propre style à travers le procédé de la série. Les honneurs d’une exposition en 1971 au MoMA marqueront véritablement le début de sa carrière. Voyageur, Stephen Shore ne cesse d’enregistrer ce qu’il voit dans une démarche à première vue documentaire. Mais pas seulement. Car son travail est volontiers subjectif – voire autobiographique –, à la croisée de deux grandes directions : d’une part les grands espaces, les routes, les parcs et les villes, de l’autre les petits riens du quotidien, la réalité à dimension humaine et les détails, l’histoire personnelle qui se mêle aux emblèmes les plus caractéristiques d’une société américaine en mutation.
En 1972, Stephen Shore parcourt les routes durant trois mois et réalise la série « American Surfaces », un reportage en forme d’inventaire – il liste tout, jusqu’aux programmes qu’il regarde à la télévision, ce qu’il mange… – qui prend des allures de journal intime malgré l’impersonnalité des lieux. Stephen Shore photographie les paysages qu’il traverse, les lits et les salles de bains des chambres d’hôtels où il dort, les quelques personnes qu’il rencontre. La présence humaine reste rare et les personnages sont le plus souvent seuls. Shore ne recherche jamais le spectaculaire. Ses photos, réalisées sans y mettre d’affect, racontent pourtant une histoire personnelle au-delà de leur statut documentaire et de leur beauté plastique.
Dans « Uncommon Places » (1973), le photographe décrit une Amérique en cours d’uniformisation, très emblématique de l’époque, avec l’apparition des centres commerciaux, les enseignes de marques qui envahissent la ville de leurs couleurs vives et contrastées. Cette série, qui fit l’objet en 1982 d’un ouvrage de référence aujourd’hui réédité et enrichi, constitue le point de départ de l’exposition organisée à l’hôtel de Sully. 70 images en couleur – Shore a également travaillé en noir et blanc – y sont présentées, donnant un bel aperçu de son travail. Si les principales séries datent des années 1970, une petite section rend compte de travaux antérieurs, plus expérimentaux. Deux vitrines présentent quelques clichés rassemblés par le photographe, images pornographiques, cartes postales et Polaroïds qu’il avait réunis en 1971 lors d’une exposition à New York intitulée « All the meat you can eat ».
Curieusement, l’œuvre de Stephen Shore n’avait encore jamais fait l’objet d’une exposition personnelle en France. Celle-ci permet aujourd’hui au public de découvrir un photographe américain majeur, devenu une référence pour Thomas Struth ou Andreas Gursky.
Jusqu’au 20 mars, Jeu de paume, site Sully, hôtel de Sully, 62, rue Saint-Antoine, 75004 Paris, tél. 01 42 74 47 75, du mardi au dimanche 10h-18h30. À lire : Uncommon Places, the complete works, éd. Thames & Hudson, 2004, en anglais, 55 euros, ISBN 0-50054-287-2. Stephen Shore est représenté à Paris par la galerie Kamel Mennour (tél. 01 56 24 03 63).
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Une Amérique rêvée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°209 du 18 février 2005, avec le titre suivant : Une Amérique rêvée