Riche et diverse, la sculpture anglaise du xxe siècle mérite sans aucun doute une attention particulière. Le panorama présenté au Jeu de Paume a, dans son principe, toute la légitimité requise. Mais, vu l’ampleur du projet, les lieux se revèlent bien trop exigus.
PARIS - La sculpture anglaise du xxe siècle constitue à l’évidence un cas d’école sur lequel les historiens peuvent multiplier les hypothèses à loisir pour en expliquer et la singularité et la richesse, mais aussi le caractère presque exclusif et la grande popularité. De Jacob Epstein à Damien Hirst, sans interruption des années 1910 à aujourd’hui, l’effervescence qui caractérise le domaine de la sculpture est sans comparaison possible avec ce qui a pu se passer dans d’autres pays. Dans son principe, l’exposition du Jeu de Paume est parfaitement légitime et, à bien des égards, utile, comme en témoigne l’excellent et volumineux catalogue, qui réunit de nombreuses contributions de qualité et des documents jusque-là dispersés.
Les fins et les moyens
L’ambition de l’exposition, que reflète sans ambages son intitulé, est immense. Elle aurait trouvé sa juste place dans un musée (le Musée d’art moderne de la Ville a présenté plusieurs panoramas nationaux avec ampleur), mais ne la trouve pas ici pour deux raisons. La première tient à la mission de centre d’art du Jeu de Paume : une telle rétrospective, si la politique culturelle a encore un sens, n’y correspond aucunement. D’aucuns y verront un nouveau témoignage d’une mise en perspective conservatrice de l’art contemporain, d’autres l’annexion fâcheuse de l’art par la diplomatie. En tout état de cause, aussi nationale soit-elle, une galerie n’est pas un musée. Du point de vue architectural, conforme à la vocation première du lieu, le hiatus est encore plus évident : les sculptures parfois imposantes de Moore ou de Richard Long y sont à l’étroit, et très peu d’entre elles trouvent un espace qui leur permettrait de respirer.
Négligées par la direction du Jeu de Paume, ces contraintes institutionnelles et architecturales coïncident au fond avec une certaine vision de l’histoire, réduite à un jeu de rôle où les œuvres remplissent une fonction désignée d’avance. Les parti pris et les risques en sont d’autant plus sûrement éliminés, et il est dès lors difficile de comprendre pourquoi Paolozzi ou Woodrow bénéficient d’une telle promotion et pourquoi Hamish Fulton en est dispensé. Inspirées du roman familial, les règles du jeu sont si précises, si patiemment mémorisées, qu’aucun accident dans la perception ne peut survenir, qu’aucune distance ne trouve plus à s’exprimer. Grandes ou petites, excellentes ou médiocres, les œuvres sont sur un pied d’égalité dont elles sont évidemment loin de bénéficier. Et leur nombre nécessairement restreint, malgré l’annexion du jardin des Tuileries (lire ci-dessus) favorise encore cette entreprise de nivellement et de pacification dont les Îles Britanniques n’ont plus besoin.
UN SIÈCLE DE SCULPTURE ANGLAISE, jusqu’au 15 septembre, Galerie nationale du Jeu de Paume, tlj sauf lundi, 12h-19h, mardi jusqu’à 21h30, les samedi et dimanche, 10h-19h. Catalogue, éditions du Jeu de Paume-RMN, 508 p., 390 F.
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Un siècle expéditif
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Abonnez-vous dès 1 €Trop exiguë pour une telle rétrospective, la Galerie du Jeu de Paume prolonge l’exposition à l’extérieur, dans le jardin des Tuileries. Des œuvres de Moore, Caro, Paolozzi, Deacon, Cragg sont dispersées dans son extrémité occidentale avec une remarquable absence de considérations esthétiques et environnementales. Elles apparaissent, auprès des statues qui y sont plantées à demeure, comme des champignons incongrus ou, si l’on préfère, comme des objets en transit que seul un nouveau transport pourra sauver de l’abandon. Les paysagistes chargés de la rénovation des Tuileries ont d’ailleurs manifesté leur désapprobation au cours d’un colloque qui s’est tenu au Louvre le 29 mai. Outre ce qu’ils jugent être une “dérive commerciale”? du jardin, géré par l’Établissement public du Grand Louvre (EPGL), ils protestent contre les nuisances écologiques occasionnées par l’implantation provisoire de ces sculptures et remarquent que les Tuileries ne sont pas l’espace adéquat pour de telles expositions. L’installation de celle de Richard Serra au même endroit, voici quelques années, avait suscité semblables critiques et motivé son déplacement.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : Un siècle expéditif