Depuis 1936, à Paris, aucune rétrospective n’avait été consacrée aux périodes de la Restauration et de la monarchie de Juillet. Il importait de montrer les nombreuses acquisitions du début du XIXe siècle, mais aussi celles, plus récentes, des musées de France, et de révéler au public les "redécouvertes" liées aux restaurations en cours. Sans compter le Louvre et Versailles, 5 000 peintures sont déjà recensées pour la période 1815-1850 dans les huit à neuf cents musée français des beaux-arts…
NANTES - La volonté des deux commissaires de l’exposition, Isabelle Julia et Jean Lacambre, a été de réunir, sous le titre "Les Années romantiques, la peinture en France de 1815 à 1850", les tableaux de toute une génération de peintres chez qui ils croient déceler une "déconcertante et brutale harmonie" au-delà de son "extraordinaire diversité".
Comme le souligne Jacques Foucart dans la préface du catalogue, spirituellement intitulée "Quelques réflexions sur les limites et les manques d’une exposition", "la gageure est d’orchestrer tout à la fois – c’est le grand écart des styles et des manières – les souvenirs d’un noble davidisme encore très vivant jusque dans les années 1840, les prolongements du gothique troubadour, les fulgurances colorées du solitaire Delacroix, la réaction puriste des ingresques, (…) le réalisme humanitaire et dru à la Courbet-Antigna, etc."
Bien sûr, tous ces artistes se retrouvent dans la figuration et la narration – Delacroix ne se disait-il pas "un pur classique" ? –, de même "le Néoclassicisme ne disparut pas à la Restauration, le Romantisme ne surgit pas en 1824, et en 1850, le Réalisme n’avait pas tout bouleversé", mais il n’empêche, vouloir apporter la preuve de l’existence d’un esprit romantique "présent en tout temps et en tout lieu, qui parfois s’épanouit et parfois disparaît" ressemble bien à une gageure – pour reprendre le mot de Foucart.
Il n’existe pas de "style" romantique
Pour en finir avec l’"évolution linéaire de la peinture, scandée par une suite de renversements" et le sempiternel trio Ingres-Delacroix-Courbet, les commissaires ont donc choisi d’y substituer une vision globale. Conscients de l’originalité de leur démarche, ils n’ont pas manqué d’évoquer les subtiles fluctuations sémantiques du mot "romantique" au cours du temps.
Ni d’appeler à la rescousse leurs glorieux prédécesseurs. Gustave Planche, dès 1833, ne voyait-il pas trois courants dans l’art contemporain : "La rénovation", avec Ingres et ses élèves, "l’innovation", autour de Delacroix, et "un courant de conciliation", représenté par Delaroche, Cogniet ou Horace Vernet ? Louis Dimier n’a-t-il pas distingué le romantisme doctrinaire d’Ingres, du romantisme pittoresque de Delacroix, du romantisme mystique de Scheffer et du romantisme historique de Delaroche ? On l’aura compris, pour les commissaires, comme pour Hugh Honour, ces oppositions de styles ne sont qu’apparentes, car "il n’existe pas de style romantique au sens où ce mot définit un langage commun".
Le recours à des "locomotives"
Mais peut-être Jacques Foucart nous donne-t-il la clé de cet œcuménisme lorsqu’il écrit que "la logique même d’une exposition (…) entraîne d’autres déséquilibres forcés. La chasse aux grands noms (et… aux visiteurs), qui par ailleurs permet, excuse et justifie l’arrivée des petits noms (notion toute provisoire que cette petitesse…), des raretés, des découvertes, le recours à ce qu’on pourrait appeler vulgairement des locomotives, pèse toujours en pareil cas." Ainsi, ce sont 182 tableaux et esquisses peintes de 130 artistes, provenant exclusivement des collections françaises, qui sont exposés : 15 Delacroix, 7 Ingres, 8 Chassériau, 6 Cogniet, 4 Horace Vernet, 3 Decamps, 3 Delaroche, 2 Scheffer… mais aussi bon nombre de ces obscurs rapins chers à Murger.
LES ANNÉES ROMANTIQUES, LA PEINTURE EN FRANCE DE 1815 à 1850, Musée des beaux-arts de Nantes, du 6 décembre au 17 mars ; Grand Palais, Paris, du 16 avril au 15 juillet ; Palazzo Gotico, Piacenza, du 6 septembre au 17 novembre. Catalogue, édition RMN et Musée des beaux-arts de Nantes, 528 p., 180 ill. couleur, 160 ill. N & B, 350 F.
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Un Romantisme peut en cacher un autre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°20 du 1 décembre 1995, avec le titre suivant : Un Romantisme peut en cacher un autre