Toute la Normandie, à commencer par Le Havre et Caen, est aussi associée au festival impressionniste.
La deuxième édition du festival « Normandie impressionniste » rassemble une soixantaine d’expositions. Avec Rouen (lire page 30) et Giverny (lire le JdA no 390, 26 avril 2013), Le Havre et Caen forment le quarté de tête, soutenus dans leurs démarches par la Réunion des musées nationaux-Grand Palais. Au Havre, le Musée Malraux (MuMa) peut se targuer d’être la seule institution française à avoir acquis deux toiles du vivant de Camille Pissarro. Ces deux vues de l’Anse des pilotes, à l’avant-port du Havre, figurent en bonne place dans l’exposition sur les paysages portuaires de Pissarro que le musée projetait depuis longtemps – la thématique aquatique du festival a été un moteur. Les séjours du peintre à Rouen, Dieppe et au Havre sont examinés à la loupe, avec la clarté qui signe les expositions du MuMa. Les photographies d’époque apportent le contexte historique, et, tandis que Boudin tient le rôle de gardien de la tradition, Dufy et Marquet sont hissés au rang d’héritiers.
Les vues portuaires en série mettent en évidence le cadrage prisé par le peintre : un point de vue en hauteur et un traitement apparemment détaché de la scène qui se joue en contrebas. La commissaire Annette Haudiquet concède que le point de vue choisi à Rouen, dos tourné à la cathédrale, peut être lu comme le choix conscient d’un anarchiste convaincu. Mais le port et ses travailleurs ne sont pas pour autant mis à distance. Obnubilé par son motif, Pissarro donne à voir l’être humain dans son milieu social et économique. Si les historiens de l’art américains T. J. Clark et Richard Bretell ont déjà abordé le sujet dans différents essais, à quand une relecture en profondeur et transversale de l’œuvre des Luce, Pissarro, Gauguin ou Signac à l’aune de leurs convictions anarchistes ?
Bains de mer et canotage
Au Musée des beaux-arts de Caen, le propos est plus léger, puisqu’il s’agit d’observer la part grandissante que prennent les loisirs dans la vie au tournant du XXe siècle. Dieppe et la côte normande sont devenues la cour de récréation de la bourgeoisie parisienne, et les bains de mer, le canotage, les promenades au bord de la plage sont dépeints dans les toiles de Boudin, Bonnard, Morisot, mais aussi de Paul-César Helleu, Alfred Stevens ou Jacques-Émile Blanche. Le cadre dépasse celui de la Normandie, aussi retrouve-t-on la sublime plage de Skagen (Danemark) où Peter severin Kroyer avait pris ses quartiers d’été, le rivage de Noordwijk (Pays-Bas) vu par Max Liebermann ou la chaleur et le vent de Biarritz captés par Joaquín Sorolla. L’accrochage est thématique et tous les styles – pompier, impressionniste, postimpressionniste, nabi, expressionniste… – sont permis. Le cocktail peut surprendre, d’autant que l’absence de propos scientifique est assumée. Le prologue autour de La Nymphe à la source (1869-1870) signé Renoir était pourtant prometteur : le point de départ envisagé par le commissaire était le corps nu et la liberté qu’il acquiert avec l’impressionnisme. Les aléas du festival en ont décidé autrement. L’absence criante de Caillebotte en atteste : dans une manifestation aussi vaste, les chevauchements sont inévitables. Quelques très belles toiles sont cependant au rendez-vous : Fête sur l’eau à Hambourg (1913) dans lequel Bonnard saisit le soleil aveuglant sur le lac Alster ; le jeu entre figuration et abstraction avec L’Eau (1906-1909) de Kupka ; et enfin le toujours surprenant Petites paysannes se baignant à la mer vers le soir (v. 1869-1875), tableau laissé inachevé par Degas.
À signaler enfin, l’exposition « La Femme et la Mer, 1850-1920 », au Musée Eugène-Boudin, à Honfleur (jusqu’au 30 sept.), et la découverte de deux artistes méconnus : Pierre Prins, ami intime de Manet et pastelliste féru de paysage, au Musée des Terre-Neuvas à Fécamp (jusqu’au 1er sept.), et Léon Riesener, proche de Delacroix, dont les séjours à Beuzeval sont dévoilés au Château-Musée de Saint-Germain-de-Livet à Lisieux (jusqu’au 30 sept.).
Commissaire : Patrick Ramade, directeur du Musée des beaux-arts de Caen
Un été au bord de l’eau. Loisirs et impressionnisme, jusqu’au 29 septembre, Musée des beaux-arts, Le Château, 14000 Caen, tél. 02 31 30 47 70, www.mba.caen.fr, tlj 10h-18h. Catalogue, coéd. Musée/RMN-GP, 144 p., 100 ill., 29 €.
Commissaires : Annette Haudiquet, directrice du Musée Malraux ; Claire Durand-Ruel Snollaerts, coauteure du catalogue raisonné des peintures de Camille Pissarro
jusqu’au 29 septembre, Musée d’art moderne André-Malraux, 2, bd Clemenceau, 76600 Le Havre, tél. 02 35 19 62 77, www.muma-lehavre.fr, tlj sauf mardi et 14 juillet 11h-18h, le week-end 11h-19h. Catalogue, coéd. Musée/RMN-GP, 176 p., 160 ill., 27 €.
Et retrouvez le programme complet sur le site : www.normandie-impressionniste.fr
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Un été au fil de l’eau
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Abonnez-vous dès 1 €Frantisek Kupka, L’Eau, 1906, 63 x 80 cm, Musée des beauxarts, Nancy, dépôt du Musée national d’art moderne. © Ph. : Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN/D.R.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°395 du 5 juillet 2013, avec le titre suivant : Un été au fil de l’eau