ÉCOUEN - Mis à part quelques bibliophiles férus de manuscrits et d’histoire, qui connaît le nom de Geoffroy Tory ? Imprimeur du roi François Ier de 1531 à 1533, date de sa mort, on lui doit entre autres l’introduction de la cédille dans les caractères d’imprimerie.
La postérité aura retenu un autre nom, celui de « Garamond », connu pour le caractère typographique qui porte aujourd’hui son nom, héritier de Tory dans le monde de l’imprimerie parisienne du XVIe siècle. C’était donc un pari risqué de la part du Musée de la Renaissance comme de la Bibliothèque nationale de France (BNF) d’exposer les livres et reliures d’un (relatif) inconnu dans les salles du château d’Écouen (Val-d’Oise). Et pourtant, ce qui aurait pu n’être qu’un plaisir pour connaisseurs avertis se révèle être une passionnante exploration, un jeu de piste autour de la langue française et des livres en général. Dans le premier tiers du XVIe siècle se jouent en Europe des changements profonds dans tous les domaines : les troupes françaises sillonnent l’Italie, les régions allemandes sont en ébullition. Paris est à l’écoute des avancées techniques et des idées nouvelles de l’« humanisme ». À cet égard, une figure comme celle de Geoffroy Tory (v. 1480-1533) est tout à fait représentative d’un certain milieu parisien, carrefour entre l’Allemagne et l’Italie durant ces années. Si l’imprimerie française naît aux alentours de 1470 dans le Quartier latin à Paris, elle reste encore inféodée au modèle du manuscrit, dans sa mise en page, sa typographie gothique et la place qu’y tient l’enluminure peinte. Tory canalise et accélère des transformations dans une imprimerie déjà rodée mais imitant encore le manuscrit gothique. À sa suite, le livre français bascule dans une dimension plus latine, humaniste et ouverte aux échanges européens.
Dans les salles à la lumière tamisée, les livres rares de la BNF relatent cette histoire, celle du premier dépôt légal, institué par François Ier en 1536, celle d’entreprises d’imprimerie très modernes, où Tory fait figure d’entrepreneur rassemblant autour de lui graveurs, relieurs, imprimeurs, pour aboutir à sa grande œuvre, le Champ fleury, publié en 1529. Avec cet ouvrage, l’homme livre une suite de quatorze alphabets systématisés, pour la plupart repris à des traités italiens de calligraphie. Mais chez Tory, le souci de clarté apparaît comme une démarche systématique visant à cataloguer les caractères qui se développaient de manière exponentielle à Paris.
Sa nomination en tant qu’imprimeur du roi, alors qu’il ne remporte, dans sa courte carrière, que peu de succès commerciaux, s’explique par le fait que François Ier cherchait alors à harmoniser et à rendre systématique l’usage de la langue française. Geoffroy Tory, grâce à sa compréhension humaniste des évolutions de son temps, fut un acteur essentiel de l’entrée du français dans la modernité.
GEOFFROY TORY, IMPRIMEUR DE FRANCOIS IER, GRAPHISTE AVANT LA LETTRE
Jusqu’au 4 juillet, Musée national de la Renaissance-Château d’Écouen, 95440 Écouen, tél. 01 34 38 38 50, www.musee-renaissance.fr, tlj sauf mardi, 9h30-12h45 et 14h-17h45. Catalogue, éd. RMN-Grand Palais, 160 p., 35 euros, ISBN 978-2-7118-5810-1.
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Tory, Graphiste du Roy
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Abonnez-vous dès 1 €Commissariat : Stéphanie Deprouw, Musée national de la Renaissance; Olivier Halévy, Sorbonne-Nouvelle (Paris-III) ; Magali Vène, BNF
Nombre d’œuvres : 142
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°348 du 27 mai 2011, avec le titre suivant : Tory, Graphiste du Roy