Une exposition érudite aux beaux-arts de Paris fait le point sur les dessins attribués au maître et à son entourage.
PARIS - Dans l’atmosphère feutrée et studieuse du Cabinet des dessins Jean Bonna, l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA) présente quarante-six dessins liés à Rembrandt, l’occasion d’un état des lieux des travaux de réattributions effectués depuis une cinquantaine d’années sur les œuvres de Rembrandt et de son entourage. Six dessins de Rembrandt sont exposés, signalés par un encadré brun-rouge et entremêlés avec les œuvres de ses collaborateurs, élèves ou suiveurs. Figures « sur le vif » et paysages des environs d’Amsterdam, ces dessins témoignent du processus de travail en atelier et de la formation des artistes au siècle d’or. Rembrandt Van Rijn exécuta peu de dessins préliminaires pour ces tableaux : le papier lui servait essentiellement à produire des exercices et des exemples pour son atelier et à alimenter un corpus de motifs. Hommes orientaux, vieilles femmes et personnages grotesques, vues des bords de l’Amstel ou simples cabanes isolées, ses dessins sont néanmoins les témoignages d’un talent hors norme. D’un trait vif et assuré, le maître saisit immanquablement les subtilités d’une posture, les nuances d’expressions ou la dynamique des lignes de forces. Déjà au début de sa carrière, il exécute un Homme oriental debout (vers 1628-1630) tracé de quelques coups de pinceau. Le jeu d’ombre et de lumière permet un rendu des volumes magistral, malgré la simplicité apparente de la composition. Autrefois catalogué sous le nom de son élève Philips de Koninck, le dessin a été attribué à Rembrandt par Frits Lugt dans les années 1950. La plupart des dessins présentés dans l’exposition ont connu les méandres des attributions et des réattributions, un cheminement historiographique brillamment éclairé par un texte concis de Mària van Berge-Gerbaud dans le catalogue de l’exposition.
Les talents divers de ses nombreux élèves
En 1699, Roger de Piles reconnaissait déjà à propos des dessins et esquisses « rembranesques » que « pour connaître si un dessin est beau et s’il est original ou copie, il faut avec le grand usage, beaucoup de délicatesse et de pénétration », autrement dit, regarder inlassablement. Dès la mort du peintre, son fonds d’atelier, dont d’innombrables carnets de dessins, est éparpillé dans les collections européennes. Toutes les œuvres ne sont pas de la main de Rembrandt, loin s’en faut. Les carnets contiennent probablement des œuvres des élèves passés par son atelier à Leyde puis à Amsterdam, dont le nombre est estimé aujourd’hui à une soixantaine. Parmi eux, Gérard Dou, Ferdinand Bol ou Gerbrand Van den Eeckhout, qui imitent, comme il est d’usage à l’époque, la manière de leur maître. La notice de catalogue de l’Homme assis vu de profil, dessin à la plume attribué à Van den Eeckhout, illustre le véritable casse-tête auquel sont confrontés les historiens d’art : la facture de l’œuvre est si proche de celle de Rembrandt que seuls d’infimes indices et la connaissance profonde du catalogue raisonné permettent une attribution en fin de compte. Certains élèves s’émancipent plus franchement, à l’image de Govert Flinck, auteur de nus féminins à la plasticité étonnante, très distincte de celles de Rembrandt. D’autres dessins n’ont encore abouti à aucun consensus, tel Deux femmes debout près d’un palais : Sarah et Agar, qui reste catalogué sous le nom d’école de Rembrandt. Les spécialistes ont encore de longues journées de labeur devant eux…
Du colossal travail d’enquête et d’investigation entrepris par les historiens d’art durant ces dernières décennies, l’exposition ne laisse pourtant rien deviner. Les cartels, sibyllins, n’effleurent qu’à peine la complexité du sujet, pourtant passionnant et remarquablement rendu dans le catalogue. Mais les œuvres en elles-mêmes valent largement le détour.
Commissariat d’exposition : Emmanuelle Brugerolles, conservateur général du patrimoine, Mària van Berge-Gerbaud, directrice honoraire de la fondation Custodia, Peter Schatborn, directeur honoraire du Rijksprentenkabinet, Amsterdam
Nombre d’œuvres : 46
Jusqu’au 20 avril, Cabinet des dessins Jean Bonna, École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 14 rue Bonaparte, 75006 Paris, tél. 01 47 03 54 15, www.BeauxArtsParis.fr, du lundi au vendredi, 13h-18h. Catalogue, les éditions Beaux-arts de Paris, 176 p., 22 €, ISBN 978-2-84056-366-2
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Sur les traces de Rembrandt
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°364 du 2 mars 2012, avec le titre suivant : Sur les traces de Rembrandt