En 2007, Stéphane Duroy publiait aux éditions Filigranes Unknown, retour sur la terre promise qu’ont représenté les États-Unis pour tant d’immigrés européens fuyant la misère, la famine, la guerre. À partir de 2009, un défaut dans l’impression d’Unknown a conduit le photographe à créer à partir des exemplaires invendables un nouvel ouvrage, fait du démantèlement de ce livre et de collages de coupures de journaux, papiers peints, photographies anonymes.
Près d’une trentaine d’autres variations d’Unknown, des pièces uniques, composent « Again and Again » présentée au Bal, à Paris. Une exposition aux allures d’installation qui dit le positionnement de leur auteur vis-à-vis de la photographie, de l’Angleterre sous Margaret Thatcher ou du nazisme.
Que faut-il entendre dans « Again and Again » ? le bégaiement de l’histoire dans ses tragédies marquées du sceau de l’arbitraire, de la violence et de l’exil ? ou la tentative d’épuisement d’un livre ?
Tout cela à fois. « Again and Again » se rapporte à l’idée du recommencement. L’homme ne cesse de se répéter. J’ai toujours été obnubilé, et un peu accablé, par ce que représente l’ennui pour l’humain. Je l’ai ressenti très jeune, très fortement. Je le ressens toujours à 70 ans. Il est en partie mon moteur. La photographie m’a pris très jeune car je m’ennuyais ; elle signifiait voyager. Très tôt, j’ai été contre la vie que l’on me proposait, c’est pour cela que j’aime tant Kafka…
Raison pour laquelle est mise en exergue dans l’exposition cette phrase de Kafka : « On photographie des choses pour se les chasser de l’esprit. Mes histoires sont une façon de fermer les yeux. »
Tout ce qu’a ressenti Kafka je le ressens… Mes photos sont très chargées. Elles ne sont pas des documents. Derrière, il y a des sensations, des perceptions du pouvoir, de l’humiliation, de l’échec, de la peur de la vie, ma vision aussi des femmes, des hommes. J’ai en moi une colère qui passe par ce que j’ai fait en photographie et par ce que je fais aujourd’hui. Je ne suis plus photographe, j’ai complètement désacralisé la photographie bien que j’en ai besoin parfois. Je lui ai donné un autre statut.
Celui du mot, du terme ?
Absolument. Je me permets d’extraire d’une de mes photos le visage d’une femme à l’expression dure, image que je photographie de nouveau. Je suis alors dans un autre univers, dans la mise en scène d’une idée. Dans mon travail, dans mes livres, il y a toujours cette idée de théâtre et de théâtraliser les lieux. Quand je suis dans une ville comme Berlin, j’ai besoin de me créer un décor par l’imagination pour photographier, mettre en scène une idée. C’est pour cela que j’ai été un piètre photojournaliste et que j’ai détruit toutes mes photographies issues de travaux de commande. Car justement ce que j’aime tant dans la photo, c’est de pouvoir recréer mon univers, facteur déclenchant de mon désir de photographier.
Très tôt dans votre parcours, vous vous êtes trouvé en marge du milieu. Est-ce dû à cette remise en cause constante de votre travail couplée à une sélection drastique de vos photographies et à une production de plus en plus réduite ?
Effectivement, et ce afin de ne pas être récupéré, pour aller plus loin, arriver à mieux. La photographie pour moi n’a rien à voir avec l’économie. Je me méfie du marché et du narcissisme. Je n’ai pas besoin d’être aimé.
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Stéphane Duroy : « Derrière mes photos il y a des perceptions du pouvoir »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 9 avril, Le Bal, 6, impasse de la Défense, 75018 Paris, www.le-bal.fr, et chez Leica, jusqu’au 8 avril, 105-109, rue du Faubourg-Saint-Honoré, 75008 Paris. Ouvrage, Unknow. Tentative d’épuisement d’un livre, coédition Le Bal/Filigranes, 64 p., 40 €. Et aussi, à paraître, Quel temps il fait, Stéphane Duroy ?, texte Ezra Nahmad et photographies de Stéphane Duroy, éd. Filigranes, 84 p. 8 €.
Légende Photo :
Sétphane Duroy, Douaumont, 1997, série « L'’Europe du silence ». © Stéphane Duroy.
Stéphane Duroy. © Photo : Tala Skari.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°471 du 20 janvier 2017, avec le titre suivant : Stéphane Duroy : « Derrière mes photos il y a des perceptions du pouvoir »