Sous les soleils de Marmottan

Paris. Accrochées dans le musée, la tapisserie Soleil de Paris de Jean Lurçat (1962) et la toile de Vicky Colombet, Rising Sun #1476 (2022) donnent un avant-goût de l’exposition qui s’y tient, célébrant le 150e anniversaire d’Impression, soleil levant de Claude Monet (1872). Si le tableau phare du Musée Marmottan a été montré pour la première fois au public en 1874, donnant son nom au mouvement impressionniste, on sait désormais qu’il a été peint le 13 novembre 1872, vers 7 heures 35 depuis une fenêtre d’un hôtel donnant sur le port du Havre. Autour de lui, les commissaires, Marianne Mathieu, directrice scientifique du musée, et Michael Philipp, conservateur en chef au Musée Barberini de Postdam (Allemagne) [lire encadré ci-dessous], ont réuni près d’une centaine d’œuvres formant autant de jalons dans l’histoire de la représentation du soleil dans les arts.

Aucune estampe japonaise ne figure dans l’exposition. Cependant, Monet connaissait peut-être Femmes adorant le soleil levant à Ise de Kitagawa Utamaro (fin du XVIIIe siècle) – à Ise se trouve le sanctuaire dédié à Amaterasu, la déesse shintoïste du soleil. En Europe, le soleil est masculin. Un buste miniature de Sol sous les traits d’Alexandre le Grand (deuxième moitié du IIIe siècle av. J.-C.) est une préfiguration de l’appropriation de son image par les monarques occidentaux. Dans le catalogue, Hendrik Ziegler analyse ce phénomène, illustré par l’ornement du harnais d’Auguste le Fort en forme de soleil de Johann Melchior Dinglinger (1709). Comme celle-ci, plusieurs œuvres viennent des pays germanophones telle la séduisante Allégorie du jour de Joachim von Sandrart (1643, voir ill.). Ce dernier a fait paraître entre 1675 et 1679 une somme sur les beaux-arts allemands dans laquelle il consacrait un article à son ami Claude Gellée dit le Lorrain : « Il restait à la campagne depuis les premières lueurs du jour jusqu’à la nuit, afin d’observer l’aurore, le lever et le coucher du soleil et le crépuscule, et de pouvoir plus tard bien reproduire ses impressions. » Une œuvre du Lorrain, L’Embarquement de sainte Paule à Ostie (vers 1650) est présentée ici.

Ce peintre, apprécié par William Turner, l’a souvent inspiré. Dans sa Mortlake Terrace (1827), la lumière aveuglante du soleil couchant dissout le muret de pierre bordant la Tamise. À la même époque, Caspar David Friedrich choisit de donner au soleil une « valeur symbolique et mystique », selon le cartel de Matin de Pâques (vers 1828-1835). On y voit les trois Marie, en costume moderne, se diriger vers le tombeau du Christ qu’indique un lumineux soleil, symbole de la Résurrection qui marque l’avènement d’un monde nouveau.

Si Gustave Courbet, les impressionnistes puis les néo-impressionnistes travaillent sur la lumière, aidés par la recherche scientifique, les symbolistes et leurs héritiers, Edvard Munch ou Félix Vallotton par exemple, donnent du soleil une image quasi-mystique (ce que fait aussi Vincent van Gogh, absent de l’exposition). Le carton Saint François d’Assise recevant les stigmates de Maurice Denis (1904) reprend l’iconographie de la gloire symbolisant la présence de Dieu. À l’opposé, l’exposition montre des photographies, gouaches et pastels de scientifiques du XIXe siècle décrivant minutieusement des éclipses et une huile sur toile de l’astronome Hippolyte Guénaire, Nébuleuse des chiens de chasse, Chacornac 1862, C. Wolf 1876 (1878).

Les artistes contemporains, tels Joan Miró ou Alexander Calder, se caractérisent par la poétisation des découvertes de l’astrophysique au XXe siècle. Richard Pousette-Dart, lui, a utilisé les images du soleil restituées par les télescopes pour nous « plonge[r] au cœur d’une expérience primordiale du divin » (selon le cartel de Golden Center, 1964). Le Musée Marmottan invite aussi des artistes à se mesurer à Impression, soleil levant– ce fut le cas, récemment, de Vicky Colombet. Gérard Fromanger a ainsi peint Impression, soleil levant 2019 (2019) rendant « compte d’une nouvelle perception de l’univers bouleversée par la conquête de l’espace ». La section « Le soleil, une étoile parmi tant d’autres » clôt ce parcours, mais Soleil noir d’Otto Piene (1961) montre la persistance de la symbolique qui, pour les artistes, s’attache à notre étoile.