CAEN - Dans l’angle d’une salle maculée d’explosions colorées, Bruno Peinado a installé une moto dont le moteur est remplacé par un pédalier de vélo. “Plan B” pour un nouveau développement, ou accessoire frime pour motard juvénile, l’engin tient un peu des deux et symbolise assez bien le travail de l’artiste, attelé depuis le milieu des années 1990 à suggérer de nouvelles versions de notre environnement. Puisant dans un répertoire dont le spectre passe du marketing au politique, de l’industrie à l’artisanat, l’œuvre de Bruno Peinado s’approprie motifs et slogans pour en inverser les perspectives et nuire aux certitudes. Dans cette optique, “After Hate”, son exposition à Caen, au FRAC Basse-Normandie, se présente d’abord comme une somme de collisions métaphoriques et physiques. Il y a des jets de peintures sur les murs, des images détournées reproduites au sol sous la forme de tapis et, sur le mur, un slogan en lettres gothiques qui réclame – en pied de nez – un renfort romantique et germanique : “Goethe mit uns” (Goethe avec nous). Attaché aux emblèmes de la contestation et à ses éternelles récupérations, Bruno Peinado propose également un remake des pancartes “Dürer, ich führe persönlich Baader Meinhof durch die Documenta V” (Dürer, je fais visiter personnellement la Documenta V à Baader Meinhof) que portait Joseph Beuys en 1972 dans les allées de la manifestation. Aussi, des cubes colorés posés comme les fragments épars d’un Rubik’s Cube géant suggèrent des reconfigurations et des combinaisons diverses forcément temporaires. L’un d’eux fait par ailleurs office de socle à la statue d’un gentil “nègre de salon” trônant ingénument sur un casque colonial.
Mais c’est au second étage, dans l’environnement noir d’Anti-Pure, en complète opposition à la saturation chromatique de la première partie de l’exposition, que cet état d’instabilité se révèle le plus prégnant, vire à l’entropie. Comme pour une charade, le mot “anti” dessiné au néon a été placé au fond de la salle, tandis qu’au centre un cristal géant taillé dans le polystyrène, symbole de pureté parfaite, est monté sur un radeau de fortune. Arrosée par les crépitements d’un stroboscope, l’architecture est, malgré sa matière dérisoire, un spectre aussi moderne et inquiétant qu’une tour de Métropolis. La pureté est donc à la dérive, et il est impossible de savoir si elle va sombrer ou s’échouer sur un nouveau rivage.
Jusqu’au 27 juin, FRAC Basse-Normandie, 9 rue Vaubenard, 14000 Caen, tél. 02 31 93 09 00, tlj sauf le 9 juin, 14h-18h. Et aussi : FLORENCE PARADEIS ET VÉRONIQUE BOUDIER, jusqu’au 28 juin, Wharf, Centre d’art contemporain de Basse-Normandie, 7 passage de la Poste, 14200 Hérouville-Saint-Clair, tlj sauf lundi, 14h-18h, tél. 02 31 95 50 87.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Souffles chauds et froids à l’envers du monde
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°172 du 30 mai 2003, avec le titre suivant : Souffles chauds et froids à l’envers du monde