Paysages

Sensations naturelles à Ornans

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2015 - 675 mots

Le Musée Courbet relève les différents procédés plastiques choisis par les artistes pour retranscrire leurs impressions et ressentis face à la nature exprimée.

ORNANS - Un paysage prend-il un autre visage lorsque personne n’est là pour l’admirer ? L’artiste peut-il être objectif face à la nature ? « Sensations de nature. De Courbet à Hartung » au Musée Courbet fait la preuve en 44 tableaux, dessins et sculptures que la rencontre entre un artiste et la nature n’est jamais anodine, et qu’elle n’a cessé de se complexifier et de gagner en subjectivité depuis le Romantisme. Si l’impressionnisme a monopolisé les esprits avec sa version fugace, spontanée et donc subjective de la nature, Monet, Pissarro ou encore Sisley sont loin d’être les premiers à avoir souhaité retranscrire leurs « impressions » personnelles. La place mineure laissée à ces peintres dans la sélection de l’exposition d’Ornans en atteste. Dans ce parcours étudiant les différentes voies empruntées par les artistes pour exprimer « le concert d’émotions qui traversent corps et esprits au contact de la nature », Monet et ses pairs ont certes apporté leur pierre, mais l’édifice est grand.

Placée sous la figure tutélaire de Cézanne – le premier à faire de la réalisation de ses « sensations » une quête artistique –, l’exposition d’Ornans n’a pas la prétention d’être exhaustive. Complété par un catalogue aux essais inspirés car dépassant les bornes de l’histoire de l’art, ce parcours très sélectif reflète la vision et les choix personnels des commissaires, forcés de composer avec les moyens limités du musée ; ce en dépit de la mobilisation de grandes institutions internationales (Musée d’Orsay, Musée Thyssen-Bornemisza, Centre Pompidou)… Ainsi le commissaire Thomas Schlesser, qui cumule une spécialisation dans l’œuvre du maître d’Ornans et la direction de la Fondation Hartung Bergman à Antibes, tend avec agilité un fil depuis le réalisme de Gustave Courbet jusqu’à l’abstraction d’Hans Hartung. Ce fil rouge n’est autre que le rapport éminemment physique que tous les artistes ici présents entretenaient avec la peinture et la nature. Ce parti pris a pour originalité d’inviter le visiteur à regarder, ressentir, réfléchir.

Réflexion sur la perception
Courbet peint l’impressionnant Chêne de Flagey (1864), comme une évidence de puissance et de stabilité. Hartung fouette la toile avec des branches de genêts cueillies dans sa propriété d’Antibes, imprégnées de peinture noire, pour créer de nouveaux mondes. Vibrations et vigueur sont à chaque fois au rendez-vous. Le chemin qui les relie est lui aussi bordé d’arbres. Ceux généreux et foisonnants des impressionnistes, mais aussi ceux de Pierre Bonnard et Paul Sérusier, tantôt silhouettes évanescentes, tantôt éléments architecturaux. La force spirituelle des toiles intimistes de ce dernier fait presque oublier l’absence de Van Gogh – obtenir le prêt d’une œuvre de ce « grand peintre d’arbre » n’est pas chose aisée… Giuseppe Penone trouve lui aussi sa place à Ornans avec un naturel déconcertant : trois de ses « Indistinti confini » (2012), troncs d’arbres sculptés dans le marbre, sont si vivants que la pierre semble n’être que l’écorce de l’arbre toujours palpitant.

Cette réflexion sensible et philosophique s’attarde enfin sur deux artistes des années 1950, avec pour point commun Antibes. À la fin de sa vie, Nicolas de Staël, disciple transi de Gustave Courbet, peint la nature qui l’entoure avec le souci permanent de justesse, de fidélité à ses sensations. Anna Eva Bergman, qui partageait la vie d’Hans Hartung, prend pour modèle sa Norvège natale en jouant elle aussi sur la frontière ténue entre abstraction et figuration. Qu’elle recrée une étendue de neige (N° 2-1966 Finnmark Hiver [1966]) ou un océan de bleu (N° 2-1968, Fjord, [1968]) à l’aide de feuilles de métal, Anna Eva Bergman fait cohabiter le feu et la glace en toute harmonie. Quelle heureuse idée d’avoir convoqué cette puissante magicienne au pays de Courbet.

Sensations de nature

Commissaires : Frédérique Thomas-Maurin, conservateur en chef du Musée Courbet ; Julie Delmas, attachée de conservation, adjointe du conservateur ; Élise Boudon, assistante de conservation, chargée d’études ; Thomas Schlesser, directeur de la Fondation Hartung Bergman, professeur d’histoire de l’art à l’École polytechnique

Sensations de nature. De Courbet À Hartung

Jusqu’au 12 octobre, Musée Courbet, Place Robert Fernier, 25290 Ornans, tél. 03 81 86 22 88, www.musee-courbet.fr, tlj sauf le mardi 10h-18h, à partir du 1er octobre 9h-12h et 14h-17h, entrée : 8 €, gratuit le 1er dimanche du mois. Catalogue, coéd. Liénart/Musée Courbet, 176 p., 25 €.

Légende Photo :
Paul Sérusier, Paysage, 1912, huile sur toile, 56,5 x 72 cm, Musée d’Orsay, Paris. © Photo : RMN (musée d'Orsay)/Jean Schormans.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°440 du 4 septembre 2015, avec le titre suivant : Sensations naturelles à Ornans

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