À bientôt 60Â ans, le designer gallois est à l’honneur au Centre Pompidou, à Paris, dans une exposition où sont exhibés ses créations phares, mais aussi ses sublimes carnets de dessin.
Que pensez-vous du « Brexit » ?
C’est fondamentalement mauvais, car cela engendre le nationalisme. Or, notre économie fonctionne grâce à la diversité des cultures. J’ai plein d’amis en Grande-Bretagne, mais j’en ai aussi beaucoup en Europe. Il est arrogant de dire qu’on va se débrouiller tout seul, alors que depuis l’après-guerre, on fait tout avec l’Europe. Personnellement, le Brexit a aussi un coût : moins 20 % de revenus. C’est beaucoup pour un studio d’une douzaine de personnes. Les designers se battent tous les jours pour payer des charges stupides et ça devient de plus en plus dur. Pourquoi créer une telle situation qui, au final, va coûter très cher au pays ?
La nature est un domaine qui vous passionne, a fortiori sa complexité. Pourquoi ?
Lorsque j’étais enfant, au pays de Galles, j’étais tout le temps dans la nature, près de la mer, entre les squelettes de baleine et, non loin, l’endroit où Guglielmo Marconi avait lancé sa première communication par radio. Autrement dit, j’étais cerné entre un passé lointain – l’animal préhistorique – et un indubitable futur – une nouvelle technologie. Je suis un être de cet entre-deux.
Nature et haute technologie, n’est-ce pas le mariage de la carpe et du lapin ?
Non, la nature est parfois plus technologique qu’on ne le pense. Quoi qu’il en soit, il faut remettre l’homme et la terre au centre de nos préoccupations. Le biomorphisme m’intéresse beaucoup, mais je pense aussi qu’il faut utiliser les matériaux et les technologies de son époque. J’ai, par exemple, conçu la table en carbone Gingko avec l’entreprise qui fabrique les ailes de l’Airbus A380. Ni trop fine, ni trop épaisse, juste ce qu’il faut : on peut dire que le matériau a généré la forme. Ce n’est pas du Rodin, ni du Michel-Ange, mais une façon contemporaine de produire une table. Le XXe siècle était limité par le conservatisme formel, le XXIe siècle, lui, est plus ouvert.
Vous dites refuser les commandes trop « commerciales ». Or vous venez de revisiter, pour les champagnes Mumm, la bouteille de la cuvée Grand Cordon. Pourquoi ?
Changer l’industrie est un défi qui m’intéresse. Je ne travaillerai jamais pour Coca-Cola, car leur objectif est simpliste : gagner toujours plus, en réduisant les coûts de fabrication. Pour Mumm, en revanche, ce projet est une métaphore de ce que doit être le design. Nous avons complètement transformé la bouteille : diminué son poids de 100 grammes, utilisé du verre recyclé, incrusté le ruban rouge dans l’épaisseur du flacon pour supprimer l’étiquette… Bref, nous avons augmenté sa valeur perçue, tout en contraignant l’entreprise à agir en faveur de l’environnement.
Pour la société autrichienne Swarovski, spécialiste du cristal, vous avez imaginé, en 2006 le concept-car solaire Crystal Aerospace, visible dans l’exposition. En quoi consiste-t-il ?
Il existe différentes utilisations du cristal et il s’agissait d’en montrer un usage inattendu. Cette voiture solaire est constituée d’une forme en aluminium posée sur une base thermoformée en polycarbonate, le tout surmonté d’une bulle transparente imprimée en 3D. Celle-ci est habillée de 1 000 cristaux taillés sur mesure et montés sur autant de cellules photovoltaïques polycristallines. L’électricité générée est stockée, à l’intérieur du véhicule, dans des batteries au lithium. Le cristal permet d’amplifier la lumière du soleil et de la répartir de manière homogène sur le panneau solaire. Le gain énergétique est optimisé. C’est une innovation.
Une innovation dont vous usez, aujourd’hui, à l’échelle de l’architecture, avec cette maison baptisée Generator House. Que permet l’utilisation de ces cristaux de la firme autrichienne dont est truffée la maison ?
Ce projet est une continuation de nos recherches sur le cristal et sur l’énergie solaire. Aujourd’hui, les gens sont préoccupés par la pollution atmosphérique et par le changement climatique. Or, Internet et les réseaux sociaux ne nous obligent plus à vivre en ville. Pourquoi, si l’on peut rester connecté, n’irait-on pas s’installer en pleine nature, voire dans des lieux très isolés comme en montagne ? L’idée est d’explorer des modes de vie « hors réseau ». Cette maison est énergétiquement indépendante. À l’instar de la voiture solaire, ses fenêtres sont serties de cristaux. Technologiquement, ce projet que nous avons élaboré avec les ingénieurs du bureau d’études Ove Arup est cohérent. L’énergie solaire est gratuite. La nuit, en outre, le vent actionne l’éolienne. Bref, cette maison est en autonomie complète.
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Ross Lovegrove : « Je suis un être entre un passé lointain et un indubitable futur »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Ross Lovegrove : « Je suis un être entre un passé lointain et un indubitable futur »