Dans le cadre de la Saison France-Israël, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris a invité l’artiste à présenter son témoignage sur la situation des migrants placés en centre de détention en Israël.
Paris. Le programme artistique de la Saison France-Israël 2018, qui s’est ouverte le 5 juin à Paris, n’a guère fait l’objet de promotion. Son inauguration par le Premier ministre Benyamin Netanyahou sur fond de violences meurtrières dans la région est restée discrète. Rares sont les institutions artistiques parisiennes à s’être inscrites à la Saison. Après le Musée de la chasse et le Centre Pompidou, le Musée d’art moderne de la Ville de Paris y participe en conviant Ron Amir. Ce photographe et vidéaste israélien né en 1973 n’avait jusqu’à présent pas exposé en dehors de son pays. C’est sur proposition d’Emmanuelle de l’Écotais, chargée des collections photographiques du musée, que l’exposition « Doing Time in Holot » a été programmée, après avoir été présentée début 2017 au Musée d’Israël de Jérusalem, non sans créer de polémiques en Israël. L’artiste y dénonce en effet la situation kafkaïenne de migrants soudanais et érythréens placés dans ce centre de détention créé en 2013 par le gouvernement israélien dans le désert du Néguev. Depuis, le centre a été fermé.
Reprise à Paris sous le titre de « Quelque part dans le désert », l’exposition n’est pas sans susciter non plus des critiques, cette fois quant à la décision du musée de participer à la saison France-Israël. Le choix pourtant de Ron Amir n’a rien pour plaire au gouvernement de Netanyaou. Tout son travail remet en cause sa politique, depuis son premier travail, « Invisible Presence », réalisé en 2010-2011 sur des ouvriers palestiniens non déclarés par leurs employeurs israéliens et obligés de vivre clandestinement.
La série « Doing Time in Holot » revêt un double intérêt. En premier lieu elle aborde la situation des demandeurs d’asile en Israël, sujet méconnu en France. Dans le catalogue, Reut Michaeli, ancienne directrice de l’organisation israélienne Hotline for Refugees and Migrants, dresse un état des lieux instructif de la situation politique ; texte repris dans la médiation de l’exposition. Ensuite, Ron Amir traite des conditions d’internement des migrants du centre de détention d’Holot ; ses travaux, réalisés durant différents séjours, ne témoignent qu’en partie des relations entretenues avec ces demandeurs d’asile. De 2014 à 2016, Ron Amir a photographié à la chambre les aménagements que certains ont faits aux abords du camp à l’aide des objets et matériaux trouvés sur place, soit une cuisine, une salle de sport, un lit… Aucun détenu ne figure sur les 30 photos grand format que compte la série « Doing Time in Holot ». Ils n’apparaissent qu’au travers de courtes vidéos. Mais tout dans la photographie de Ron Amir convoque leur présence et leur situation.
Projeté en introduction de l’exposition, le film Don’t Move montre des migrants du camp qui posent derrière une voiture et peinent à rester en place durant la prise de vue. La chambre photographique (4 x 5) demande en effet des temps de préparation longs, et l’artiste semble complètement absorbé par ce travail. Ce film parabole décontenance voire agace, mais surtout il crée un profond malentendu sur le propos de Ron Amir et son traitement du sujet. Car loin de vouloir esthétiser l’inhumain ou même de rendre hommage à la créativité humaine, comme pourraient le suggérer les photographies, l’artiste cristallise dans ces images ce qui fait à la fois acte de résistance, de résilience et de survie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Ron Amir, non politiquement correct