Le Musée Rodin offre pour la première fois une vision d’ensemble de ses photographies des œuvres du sculpteur.
PARIS - Dans le catalogue de l’exposition « Rodin et la photographie », actuellement présentée au Musée Rodin, à Paris, la commissaire Hélène Pinet décrit le trouble ressenti par le plus grand sculpteur français devant le travail d’un jeune photographe américain : « Rodin, lui, ne peut cacher son émotion quand il découvre enfin la série étalée à ses pieds : “C’est le Christ marchant dans le désert”, dit-il dans un premier temps, avant de poursuivre après un long silence, entourant les épaules de Steichen : “Vos photographies feront comprendre au monde mon Balzac”. » Cette série de Balzac prise au clair de lune par Edward Steichen est en effet entrée dans la légende. Si plusieurs prises de vues sont visibles au Jeu de paume, à Paris (lire ci-dessus), le Musée Rodin leur réserve un plus bel accrochage, dans une section feutrée consacrée au pictorialisme soulignant parfaitement l’aspect vaporeux des images. Steichen ne fut pas le seul photographe à travailler auprès de Rodin. Le résultat des recherches de la collection photographique du musée, ici exposé, a permis de dégager les noms des collaborateurs qui ont su, chacun à leur manière, mettre en valeur l’œuvre du sculpteur.
La nature des relations entretenues par Rodin avec ces divers photographes est au cœur du parcours chronologique de l’exposition. Après des premiers clichés à usage purement technique – les traces de crayon correcteur du sculpteur sont visibles –, les tirages d’Eugène Druet inaugurent une approche interprétative. Si elles sont souvent techniquement ratées, ces images s’attachent avant tout à créer une atmosphère. Eugène Druet étant un restaurateur s’essayant à la photographie, et Rodin travaillant encore à bâtir sa réputation, le sculpteur intervient volontiers lors des séances de pose. À l’inverse, il accorde toute sa confiance à Jean Limet, patineur de bronze devenu photographe, dont les inventions techniques et esthétiques contribuent à produire des œuvres d’art à part entière. Son usage de filtres colorés est repris par Jacques Ernest Bulloz, avec lequel Rodin signe un contrat commercial exclusif. Succès oblige, le sculpteur a besoin d’un catalogue de prises de vue classiques afin de répondre aux nombreuses sollicitations de la presse mais aussi à destination des ouvrages d’histoire de l’art. Rodin est par ailleurs séduit par le travail du duo anglais composé de Stephen Haweis et Henry Coles, qui lui rappelle la peinture symboliste de son ami Eugène Carrière. Enfin, les pictorialistes, parmi lesquels Steichen et Gertrude Käsebier, offriront au maître ses plus beaux portraits.
Les photographies de Haweis & Coles constituent la plus belle surprise de cette exposition. Le jardin de l’atelier de sculpture à Meudon (Hauts-de-Seine) fut un formidable terrain de jeu où ils purent assouvir leur goût pour la mise en scène, dans un esprit typiquement britannique car proche de la nature. Là où Steichen réussit à créer une tension dramatique, le photographe Haweis et le tireur Coles instaurent un cadre intimiste qui révèle l’humanité des sculptures. Quel dommage que cette collaboration ait été aussi éphémère ! Le contrat qui le liait à Bulloz a empêché Rodin de les faire travailler autant qu’ils le souhaitaient. Le duo s’est séparé et Haweis est redevenu peintre.
Jusqu’au 2 mars 2008, Musée Rodin, 79, rue de Varenne, 75007 Paris, tél. 01 44 18 61 10, www.musee-rodin.fr, tlj sauf lundi 9h30-16h45, www.musee-rodin.fr. Catalogue, coéd. Musée/éd. Gallimard, 224 p., 230 ill. couleurs, 39 euros, ISBN 978-2-07-011909-7.
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Rodin sous l’objectif
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Hélène Pinet, responsable du service de la recherche, de la documentation, de la bibliothèque et des archives du Musée Rodin ; Sylvester Engbrox, documentaliste, Musée Rodin - Œuvres : environ 200 photographies et quelques modèles en plâtre répartis dans 5 salles
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°271 du 14 décembre 2007, avec le titre suivant : Rodin sous l’objectif