Art ancien

XIXe

Rochegrosse renaît à Moulins

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 16 septembre 2013 - 649 mots

Le Musée Anne-de-Beaujeu consacre sa première rétrospective et réhabilite par la même occasion l’un des plus célèbres peintres d’histoire au temps de la Troisième République.

MOULINS - Si le Musée d’Orsay peut se targuer de posséder en l’Olympia la Joconde de la seconde moitié du XIXe siècle, ses murs et réserves recèlent des icônes passant plus inaperçues car réalisées par des artistes dits d’« arrière-garde ». Le Chevalier aux fleurs (1894) est de cette veine. Un jeune homme en armure étincelante est assiégé, au milieu d’une prairie, par une quinzaine de jeunes femmes-fleurs. Inspiré par un épisode du Parsifal de Wagner, le tableau est à la croisée de l’impressionnisme et du symbolisme, un foisonnement de couleurs et de chairs rosées que n’auraient pas renié certains peintres victoriens. Georges Antoine Rochegrosse (1859-1938), son auteur, fait partie de ce club des peintres d’histoire du dernier tiers du XIXe siècle en attente d’un regard plus scrupuleux et d’une réhabilitation en bonne et due forme. Rochegrosse doit la sienne aux recherches menées par l’universitaire Laurent Houssais et au Musée Anne-de-Beaujeu, à Moulins (Allier), qui, grâce à sa politique d’acquisition, détient aujourd’hui le plus important ensemble d’œuvres de l’artiste en collection publique.

Antiquité « trash »
D’emblée, la désignation de « peintre pompier » est écartée par les commissaires. L’académisme de Rochegrosse est en effet bien éloigné de la sage théâtralité néoclassique. Sa vision rêvée de l’Antiquité, passionnée, sauvage et sanguinaire pourrait être la version « trash » d’un Henri Regnault ou d’un Jean-Léon Gérôme. Comme pour ces derniers, les peintures d’histoire de Rochegrosse privilégient le moment clé, l’apex tragique dont la compréhension ne nécessite aucun bagage historique. L’effroi et le frisson sont immédiats. Ainsi de l’empereur Geta croulant sous la masse de ses meurtriers, du petit Astyanax arraché des bras d’Andromaque pour être jeté du haut des remparts de Troie, de l’empereur Vitellius traîné par une horde déchaînée dans les étroites rues de Rome, de l’attaque frontale des Héros de Marathon, qui s’élancent armés jusqu’aux dents vers le spectateur… La tradition qualifie ce type d’images de « cinématographiques ». N’est-il pas temps, à l’inverse, de caractériser le péplum, et plus largement le cinéma à grand spectacle, par le terme de « pompier » ?

Metteur en scène d’une rare puissance et coloriste affûté, Rochegrosse avait déployé une large palette d’activités et de talents, ici toutes évoquées – illustration d’ouvrages littéraires (Hérodias, Salammbô, de Flaubert), tapisserie, grands décors, vitrail, mosaïque, affiches, dessins de costumes et décors de théâtre ou encore sculpture. Les décorations japonisantes, délicates et humoristiques qu’il exécute dans sa jeunesse sur les panneaux de portes et boiseries des demeures de son beau-père Théodore de Banville sont aux antipodes du sang, de la sueur et des larmes d’une impératrice Messaline sur le point d’être égorgée.

S’il fait fausse route dans des scènes de genre antiques, dans lesquelles les cocottes parisiennes peinent à faire illusion malgré leurs tuniques exotiques, il s’égare définitivement en œuvrant à la propagande coloniale pour la Manufacture des Gobelins. Admirable est le travail fourni pour l’exposition qui déroule avec clarté cette carrière protéiforme, tout en assumant ses parts d’ombres et en valorisant les pièces maîtresses. Espérons que cette brillante rétrospective connaîtra le retentissement désiré, et fera sortir les nombreuses toiles dont la localisation demeure inconnue à ce jour.

Georges-Antoine Rochegrosse. Les fastes de la décadence

Jusqu’au 5 janvier 2014, Musée Anne-de-Beaujeu, place du Colonel-Laussedat, 03000 Moulins, tél. 04 70 20 48 47, www.mab.allier.fr, tlj sauf lundi 10h-12h et 14h-18h, le dimanche et jours féries 14h-18h, fermé le 25 décembre et le 1er janvier. Catalogue, coéd. Musée de Moulins/Mare & Martin, 208 p., 27 €.

Commissariat général : Judith Hénon, conservatrice du patrimoine, directrice du musée ; Maud Leyoudec, conservatrice du patrimoine et responsable des collections beaux-arts et arts décoratifs

Commissariat scientifique : Laurent Houssais, maître de conférences en histoire de l’art contemporain à l’université de Bordeaux-III

Scénographie : Jean-Michel Fiori

Légende photo

Georges-Antoine Rochegrosse, Vitellius traîné dans les rues de Rome par la populace, huile sur toile, musée des beaux-Arts, Sens. © Photo : E. Berry/Musées de Sens.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°397 du 20 septembre 2013, avec le titre suivant : Rochegrosse renaît à Moulins

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