Art ancien

XVIIe siècle

Rembrandt, à la lueur des perles

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 27 septembre 2016 - 842 mots

Le Musée Jacquemart-André rend un bel hommage à l’artiste, un peu gâché par la répétition de clichés qui faussent la vision de l’œuvre.

PARIS - Le pari n’était pas gagné d’avance. Outre la difficulté de trouver des prêts, le Musée Jacquemart-André a voulu resserrer l’exposition « Rembrandt intime » autour des portraits de la Princesse Amélie de Solms (1632) et du Docteur Arnold Tholinx (1656) ainsi que du Repas des pèlerins d’Emmaüs (1629) acquis au XIXe siècle par son fondateur, Édouard André. Évitant pour partie le découpage chronologique, peu adéquat à la compréhension de l’œuvre du peintre (1606-1669), il offre une large place à l’estampe, dans laquelle il fait merveille, et au dessin. On peut néanmoins regretter que toutes les feuilles ne soient pas incontestablement de sa main. Il suffit de regarder les hachures parallèles du dit « autoportrait » issu du Cabinet des estampes et dessins des Musées de Berlin, qui ne lui apportent rien, et de les comparer aux tourbillons d’un acteur ou à la flamme d’un ange, pour avoir un doute.

Le musée a obtenu des prêts exceptionnels de tableaux, dont la restauration a fait ressortir les modelés et couleurs, venus du monde entier. Les Français peuvent se montrer moins prêteurs, puisque manque l’impressionnante Crucifixion de l’église du Mas-d’Agenais, fruit de l’émulation provoquée par son compagnon Jan Lievens comme par Rubens – ce qui ne fait guère honneur aux services du ministère de la Culture et à la commune du Lot-et-Garonne.

L’Emmaüs est une scène saisissante de jeunesse, traitant le Christ en ombre découpée, sur le point de disparaître en faisant fuser un jet de lumière. La Révélation, et son corollaire la stupéfaction, forment un thème plusieurs fois abordé par Rembrandt. Dans l’eau-forte de La Résurrection de Lazare, les personnages sont rendus à des silhouettes traversées par la lumière. L’artiste cherche à appréhender l’instant, auquel il entend donner toute son intensité dramatique, dans une veine qui n’est pas étrangère au caravagisme.

Cette inclination se retrouve dans Balaam et l’ânesse (1626), en bonne place pour servir d’introduction. Ce tableau rapporte la mésaventure du mage prophète parti persécuter le peuple d’Israël. Un ange invisible s’étant interposé pour arrêter sa monture, le mage frappe violemment l’animal à coups de bâton. L’élève entre cette fois en concurrence avec son professeur, Pieter Lastman, qui a traité le même sujet quelques années plus tôt ; Rembrandt concentre des personnages saisis de biais et choisit le moment où l’âne profère ses reproches à son maître. Ernst van de Wetering, qui a entièrement révisé l’œuvre du peintre, explique combien l’étude de cette composition en a renouvelé la vision. Autour de la tête de l’animal, on peut observer que le ciel et l’ange ont été peints en premier, en laissant en réserve la silhouette des figures. Ce n’est que dans un deuxième temps que celles-ci ont été placées, renforçant l’impression de profondeur.

Progressivement, le spécialiste s’est « rendu compte que l’auteur avait systématiquement usé de cette construction d’arrière en avant », en tout cas jusqu’à la dite Ronde de nuit (1642), influençant profondément la méthodologie du groupe « Projet de recherche sur Rembrandt » qu’il dirigeait.

Plis et pores de la peau
S’il est une leçon à mettre à profit, ce serait de chercher à comprendre le détail, la dispersion de la lumière (son obsession), les nuances bleu-vert d’une montagne, le brillant des perles, le pli du menton chez les dames ou même les pores du Vieil homme en costume oriental venu du Metropolitan museum of Art de New York. L’artiste peut s’attarder longuement sur des brocarts, en passant rapidement sur les mains, ou, à l’inverse, tracer délicatement les veines. Au même moment, il peut peindre le portrait lisse et un peu ennuyeux d’une princesse et une tête de soldat éclatant de rire à coups vigoureux d’empâtements.

Aussi l’œuvre de Rembrandt ne peut-elle être enfermée dans une succession de « styles » accolés à des périodes, comme le suggèrent malheureusement les panneaux et le catalogue. La répétition de tels poncifs hérités de l’histoire de l’art du XIXe siècle est d’autant plus irritante qu’elle se trouve émaillée de projections symbolistes, faisant de Rembrandt « un génie » dont les « autoportraits » seraient l’expression d’une quête irrépressible de « l’âme » et de la « fragilité humaine ». Peignant son fils en train de lire, il se livrerait à une émouvante démonstration d’« amour paternel ». En réalité, ces « portraits de lui-même », comme ils étaient plus justement appelés, étaient dictés par la demande du marché – et quand celle-ci venait à manquer, il n’en peignait pas. Et il était courant d’user de ses proches comme de modèles. Il est dommage que le musée ait cédé à cette enfilade de perles, d’autant plus devant une telle collecte d’œuvres.

REMBRANDT

Commissariat : Emmanuel Starcky, directeur des Domaines et Musées nationaux de Compiègne et de Blérancourt ; Peter Schatborn, conservateur en chef émérite du Cabinet national des estampes au Rijksmuseum d’Amsterdam ; Pierre Curie, conservateur du Musée Jacquemart-André
Scénographie : Hubert le Gall
Nombre d’œuvres : 53 tableaux et dessins

Rembrandt intime

jusqu’au 23 janvier 2017, Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, 75008 Paris, www.musee-jacquemart-andre.com, tlj 10h-18h, lundi jusqu’à 20h30, entrée 13 €. Catalogue, 32 €.

Légende Photo :
Rembrandt, Autoportrait à la chaîne d’or, 1633, huile sur bois, 60 x 47 cm, Musée du Louvre, Paris. © Photo : RMN (musée du Louvre)/Hervé Lewandowski.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°464 du 30 septembre 2016, avec le titre suivant : Rembrandt, à la lueur des perles

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