Le Quai Branly s’intéresse aux sociétés qui ont précédé les Incas, sans lesquelles ils n’auraient pas connu de développement si éclatant. Certaines d’entre elles étaient dirigées par des femmes.
Paris. Des civilisations anciennes brillantes, les cultures cuspinique, mochica (ou moché), lambayeque et chimù, ont précédé au Pérou la splendeur des Incas. Trente ans de recherches archéologiques, entreprises depuis 1987 sur la côte nord du pays, permettent, aujourd’hui, de l’attester. « Le Pérou avant les Incas » rend compte de ces découvertes de manière limpide et pédagogique. L’exposition éclaire ainsi d’un jour nouveau ces sociétés que les chercheurs, après des siècles de pillages et de destructions par les conquistadors espagnols, chasseurs de trésors et autres trafiquants d’antiquités, avaient fini par croire peu dignes d’intérêt.
Trente années de fouilles effectuées sur cette bande côtière d’environ 350 km de long sur 60 km de large, sur les sites de la huaca de la Luna, el Brujo, Ucupe, Sipan, Pomac, Panamarca et San Jose de Moro ont permis d’exhumer temples, palais, villes, villages et systèmes hydrauliques complexes. Ces trésors sont « la preuve de la grandeur et du pouvoir de leurs propriétaires », insiste le commissaire de l’exposition, Santiago Uceda Castillo, archéologue et directeur du Musée Huacas de Moche au Pérou. La preuve de la grandeur de ces peuples, qui sont parvenus à transformer les paysages sauvages et désertiques de la côte septentrionale du pays « en un paysage anthropique façonné par d’énormes vallées oasis » il y a plus de 1 500 ans. Bouteilles à anse-goulot en étrier et cruches en céramique décorées de motifs animaliers et de divinités anthropomorphes, maquettes de temples et de palais, ornements de nez, protège-menton, diadèmes, boucles d’oreilles, sceptres et couronnes : les 300 œuvres exposées, dont 258 pièces prêtées par le ministère péruvien de la Culture, permettent de retracer l’art de vivre et les modes d’organisation du pouvoir de ces sociétés andines.
Après avoir campé le cadre géographique (des paysages parmi les plus arides de la planète) et naturel (faune et flore abondante, très grande biodiversité) de ces contrées andines, le parcours de l’exposition invite le visiteur à découvrir l’architecture (temples et palais) de ces sociétés, mais aussi leur manière d’incarner pouvoir céleste (divinités cuspiniques, mochicas et lambayeques) et terrestre (rois, seigneurs, prêtres et guerriers). Les céramiques, modelées et peintes, sont remarquables, tout comme les ornements ouvragés en or, en cuivre et en argent. On regrettera néanmoins que le parcours ne comprenne que deux très courtes vidéos – de qualité moyenne – montrant les travaux de fouille et aucune photo des sites archéologiques.
La dernière partie, la plus passionnante de l’exposition, est intitulée mille ans de pouvoir féminin. Elle démontre que les femmes ont joué dans ces sociétés un rôle politique, guerrier et religieux éminent. Dès leur arrivée sur la côte Nord du Pérou, les Espagnols ont révélé l’existence de villages, les Capullanas, où l’autorité était en effet détenue par des femmes. Les recherches archéologiques récentes menées sur les sites de San Jose de Moro, la huaca el Brujo et la huaca Chornancap le confirment. Elles ont permis de découvrir des tombes, où ont été enterrées des femmes parées de somptueux atours et entourées d’offrandes précieuses. « Celles-ci sont révélatrices de la richesse exceptionnelle des défuntes et de leur pouvoir privilégié au sein de la société », souligne Luis Jaime Castillo, docteur en archéologie et directeur du projet San Jose de Moro. La présence de ces femmes puissantes est avérée dès la période mochica ancienne (IIe siècle après J.-C.) jusqu’à l’époque de la vice-royauté (XVIIIe siècle).
Dans l’espace d’exposition, le visiteur tombe nez à nez avec un mannequin grandeur nature représentant l’une d’entre elles : la Dame de Cao (période mochica ancienne) coiffée d’un diadème en forme de V et vêtue d’une élégante robe recouverte de plaques métalliques dorées. Celle-ci a été découverte, en 2004, à la huaca el Brujo, dans une enceinte cérémonielle richement décorée de peintures polychromes. Ses attributs (couronne, diadème, sceptre, masses et autres propulseurs) témoignent du rôle de gouverneur et de prêtresse qui fut le sien. Ces femmes dotées de fonctions religieuses officiaient notamment lors de rituels de sacrifices humains. Elles pouvaient aussi se faire guérisseuses.
Exhumée en 2012, dans un petit monticule, dans la vallée du Lambayeque, la Dame de Chornancap fut inhumée avec un mobilier funéraire lui aussi extrêmement riche. Cette femme, qui dirigea le royaume de Chotuna- Chornancap, l’une des entités politiques de la culture Lambayeque, exerça son pouvoir au niveau local, mais aussi régional, jusqu’en Équateur. « Ces différentes découvertes contrastent avec l’image de soumission et de dépendance vis-à-vis des hommes véhiculés par les récits officiels », observe avec humour Luis Jaime Castillo.
Le Pérou avant les Incas,
jusqu’au 1er avril, Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 222, rue de l’Université, 75007 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°494 du 2 février 2018, avec le titre suivant : Reines et prêtresses du Pérou