Quand le mobilier rencontre l’architecture

Pionnier de l’entre-deux-guerres, Mies van der Rohe voulait donner au meuble sa propre valeur

Le Journal des Arts

Le 8 janvier 1999 - 631 mots

Les Archives de l’Architecture Moderne invitent à plonger au cœur du modernisme de l’entre-deux-guerres en explorant l’univers de Mies van der Rohe. À partir de trois édifices majeurs réalisés entre 1927 et 1930, l’adéquation qui unit architecture et mobilier témoigne de la sensibilité d’un des pionniers de la création contemporaine.

BRUXELLES (de notre correspondant) - Conçue par le Vitra Design Museum, l’exposition paraît à première vue restrictive. En limitant l’œuvre de Van der Rohe à trois réalisations – la Siedlung du Weissenhof de Stuttgart (1927), le Pavillon allemand pour l’Exposition internationale de Barcelone (1929) et la villa Tugendhat de Brno, en Tchéquie (1929-1930) –, les commissaires ont voulu mettre en évidence la logique qui unit chez Mies l’architecture au mobilier. Le visiteur devra donc s’attacher aux remarquables panneaux didactiques pour replacer ces trois réalisations majeures dans l’évolution de l’architecte qui, partant du Suprématisme de Lissitzky, expérimente dès 1923 le plan libre.

Le parcours s’ouvre avec l’exposition du Werkbund à Stuttgart, en 1927. Consacrée à l’habitation moderne, cette réunion internationale devait répondre aux problèmes posés par le logement collectif, alors au centre des préoccupations de la République de Weimar. Mies van der Rohe y formule les principes de construction qui, à ses yeux, répondraient aux exigences de la production sérialisée. Sa Siedlung, un bloc d’habitation de 24 appartements, innove par son adaptation du plan flexible au logement collectif, et surtout par son ossature métallique constituant un premier pas vers l’élaboration de la “grille” minimaliste qui, après la guerre, relancera son œuvre aux États-Unis.

L’intérêt majeur de l’exposition réside sans doute dans la mise en relation de cette architecture nouvelle avec son mobilier. L’ouverture de l’espace qui caractérise la Siedlung donne son sens aux meubles créés pour l’occasion. La chaise en porte-à-faux, réalisée à partir d’acier tubulaire, innove par sa présence sculpturale dans l’espace. Au même titre que Webern élabore son dodécaphonisme en valorisant le silence comme étendue sensible qui isole et consacre chaque note, il transforme le fonctionnalisme architectural en sculptant visuellement l’objet à partir du vide.

Cette recherche s’affirmera en 1929, avec le pavillon de l’Allemagne à l’exposition internationale de Barcelone puis, un an plus tard, avec la villa Tugendhat à Brno. Liant architecture et design, l’exposition révèle une pensée duelle que Mies van der Rohe maîtrise parfaitement. Approfondissant la logique tirée de la peinture non-objective, l’architecte ouvre l’espace structuré par des formes élémentaires, sans renoncer à ce désir d’expressivité qui le maintient à distance du radicalisme des avant-gardes productivistes. Le mobilier y participe. L’exposition le démontre. À l’acier tubulaire largement répandu dans l’industrie à la fin des années vingt, il préfère les profilés plats qui soulignent le façonnage de l’objet. Contrairement à un Breuer et à un Rietveld qui prolongent dans le mobilier une logique architecturale, il donne au meuble sa valeur propre. La chaise conçue pour le pavillon de Barcelone témoigne de l’affirmation sculpturale de l’objet, qui renvoie par ailleurs au dynamisme de la courbe. Cette préoccupation justifie aussi l’emploi dans l’architecture de matériaux choisis pour leurs qualités expressives, par opposition aux murs blancs de l’espace non-figuratif. On regrettera dès lors que les splendides maquettes des édifices n’aient pas pris en compte cette donnée fondamentale. Immaculées, elles cessent de dialoguer avec le mobilier pour se transformer en un écrin minimaliste bien éloigné de la réalité. Baroque dans son sensualisme, sculptural dans son sens de l’objet, dynamique dans sa perception de l’espace, formaliste dans la fonction assignée au détail, la pensée de Mies van der Rohe, synthétisée en trois chefs-d’œuvre, a gardé toute son actualité.

MIES VAN DER ROHE : MOBILIER ARCHITECTURE À STUTTGART, BARCELONE, BRNO. 1925-1932

Jusqu’au 24 janvier, Fondation pour l’Architecture, 55 rue de l’Ermitage, 1050 Bruxelles, tél. 32 2 649 02 59, tlj sauf lundi 12h30-19h, sam. et dim. 11h-19h. Catalogue en anglais, 242 p., 1 500 FB.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Quand le mobilier rencontre l’architecture

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