Moins d’expositions, peu de grands événements, l’agenda 2016 s’annonce moins festif, notamment en France. Cette présomption s’inscrit dans une tendance à la baisse continue depuis 2011. Pour autant, menu allégé ne veut pas dire moins savoureux. L’art contemporain, qui représente près des trois quarts des expositions, fera la part belle aux monographies ou redécouvertes, tandis que le retour du festival Normandie impressionniste sera un des temps forts en art ancien.
Le programme 2016 des expositions s’annonce économe. Alors que la tendance à la baisse du nombre d’expositions en France dans les musées et centres d’art s’est confirmée en 2015 avec 1 500 manifestations contre 2080 en 2011, un premier recensement pour 2016 peine à franchir la barre des 500. Certes, il est habituel qu’un décompte réalisé en fin d’année pour l’année suivante soit très inférieur à la situation finale, mais ce nombre est anormalement bas. Il signale au mieux que les lieux de diffusion n’ont pas bouclé leur programmation de l’année, au pire qu’ils ont prévu moins d’expositions en 2016 qu’en 2015. La baisse en 2015 est plus marquée dans les 350 musées et fondations que dans les 240 centres d’art et Fracs selon la base de données du Journal des Arts. Pour autant, même avec des chiffres en baisse, le secteur n’est pas à la diète, notamment à Paris où se concentre près d’un quart des présentations.
Les « grands noms » seront discrets cette année. Point de vastes rétrospectives monographiques qui font courir les foules et incitent les organisateurs à ouvrir jour et nuit les lieux pour le rush final. Point de Manet, Monet, Renoir, Cézanne pour satisfaire les amoureux du XIXe, ou de monographies de Hopper, Dalí ou Matisse, pour citer des expositions qui dans les vingt dernières années ont dépassé le seuil des 500 000 visiteurs. Cela fait bien longtemps maintenant que les Parisiens n’ont pas bénéficié d’une exposition sur l’Égypte antique, alors que le simple intitulé « pharaon » dans le titre assure à ses organisateurs une fréquentation importante. Le record jamais égalé pour une exposition reste précisément pour « Le Trésor de Toutankhamon » qui avait attiré au Petit Palais, 1,24 million de visiteurs en 1967, pendant six mois.
L’art contemporain réunit 72 % des expositions
L’heure, il est vrai, est à l’art contemporain. Plus que l’heure d’ailleurs, c’est même l’époque puisque depuis 2005, l’art d’après-guerre représente en moyenne 72 % des expositions. Inutile de revenir ici sur les raisons qui expliquent ce phénomène, elles sont largement connues ; il est aujourd’hui plus facile et moins coûteux d’organiser une exposition d’art actuel. De surcroît le nombre de centres d’art qui exposent principalement la création actuelle a considérablement augmenté, maillant (presque) tout le territoire. 2016 ne sera pas une année biennale de Lyon et biennale de Venise. C’est d’ailleurs pour cela que le Printemps de septembre de Toulouse, qui a adopté une périodicité biennale, renaît en 2016. Ce sera cependant une année « Monumenta » ; après le succès mitigé des époux Kabakov en 2014, le Grand Palais accueillera en mai le Chinois naturalisé français Huang Yong Ping.
Chaque mouvement ou école devrait trouver son compte parmi les 1 200 manifestations attendues réservées à l’art actuel, sans compter les 120 expositions « toutes périodes » qui font généralement la part belle à l’art contemporain, et bien sûr presque autant d’expositions dans les galeries commerciales. Les artistes français établis, habituels parents pauvres des programmations, le resteront en 2016, en dehors de Gérard Fromanger dans l’espace confiné de la galerie permanente du Centre Pompidou en février (il faut s’appeler Jeff Koons pour bénéficier de la Galerie du 6e étage), Jacques Villeglé (Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Étienne, en mars), Pierre Ardouvin (Mac/Val, en avril), Jean-Michel Alberola (Palais de Tokyo, en mai), Bernar Venet (Espace de l’art concret de Mouans-Sartoux, en juin), Pascal Pinaud (Fondation Maeght, en décembre) ou Françoise Pétrovitch (Fonds régional d’art contemporain PACA, en juillet). Les plus jeunes seront mieux lotis, notamment les nommés du Prix Marcel Duchamp qui inaugure en 2016 l’exposition des quatre concurrents, non plus dans l’enceinte de la Fiac, comme jusqu’à présent, mais au Centre Pompidou.
La scène étrangère brillera, mais sans excès, citons pêle-mêle Yoko Ono (Mac de Lyon, en mars), Carl André (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en octobre), Luc Tuymans (LaM-Musée d’art moderne Lille Métropole, en octobre), Seydou Keïta (Grand Palais, en mars), Miquel Barceló (Musée Picasso, en mars). Menu allégé donc, à l’instar du château de Versailles qui n’a toujours pas annoncé l’artiste qui succédera à Anish Kapoor dans le parc cet été.
La Fondation Vuitton créé encore l’événement
L’art moderne arrive en seconde position, avec une moyenne de 9 % des expositions en France entre 2005 et 2015, et 10 % pour 2016. Plusieurs « têtes d’affiche » feront l’actualité en France et en Europe : Jean Dubuffet (Fondation Beyeler, Suisse, en janvier), Albert Marquet (Musée d’art moderne de la Ville de Paris, en mars), Amedeo Modigliani (LaM-Musée d’art moderne Lille Métropole, en avril), Paul Klee (Centre Pompidou, en avril), Marc Chagall (Fonds Hélène et Édouard Leclerc pour la culture, en juin), Charles Camoin (Musée Granet, en juin), René Magritte (Centre Pompidou, en septembre), Kandinsky (Musée de Grenoble, en octobre). Curieusement le centenaire de la naissance de Dada ne donne pas lieu à exposition, si ce n’est dans sa ville de naissance à Zurich, avec une rétrospective Picabia. En France, la dernière grande exposition du mouvement remonte à 2005 au Centre Pompidou.
Cette programmation sobre fera briller plus encore ce qui s’annonce comme l’événement de la rentrée 2016 à Paris : les pièces majeures de la collection Chtchoukine à la Fondation Vuitton. Bernard Arnault avait déjà affiché ses moyens financiers et corrélativement ses bonnes relations avec les musées Pouchkine et de l’Ermitage détenteurs de la collection du mécène russe en exposant La Danse de Matisse au printemps 2015. On devrait voir plusieurs chefs-d’œuvre prémodernes (impressionnisme et postimpressionnisme) et plusieurs Picasso. Un Picasso qui continuera à être omniprésent sur les cimaises de France et du monde entier. À Bozar à Bruxelles (en octobre) et au Musée Picasso de Paris (en mars), on pourra apprécier les sculptures du maître ; à la Fondation Gianadda ses œuvres ultimes (en juin) ; au Musée Soulages (en juin) des prêts des musées Picasso ; et au MuCEM de Marseille (en avril), Picasso et l’art populaire.
La meilleure note de l’originalité ou du courage – c’est selon – revient à Fabrice Hergott du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, qui exposera Bernard Buffet en octobre, espérant le sortir du purgatoire du marché et de l’histoire de l’art. Un risque calculé cependant, quand on mesure la cote ascensionnelle récente de son contemporain Georges Mathieu.
L’impressionnisme – qui après les pharaons d’Égypte est la période préférée des Français – bénéficiera de la troisième édition du Festival Normandie impressionniste (d’avril à septembre), qui a lieu tous les trois ans et devrait prendre un accent particulier avec la fusion des deux régions normandes. De nombreux musées de la nouvelle région exposeront la touche colorée des peintres du plein air. À Paris, outre la Fondation Vuitton (voir plus haut) c’est au Musée Jacquemart-André (en mars) que l’on pourra apprécier Monet, Renoir ou Gauguin. Quelques mois plus tard, Culturespaces – qui administre aussi le nouveau centre d’art de Caumont à Aix-en-Provence – expose Turner, un précurseur du mouvement. Le Musée d’Orsay, temple des impressionnistes, s’intéresse aussi à la périphérie du mouvement : Frédéric Bazille (mai), le Douanier Rousseau (mars), dix ans après la rétrospective du peintre naïf au Grand Palais et Henri Fantin-Latour au Sénat (octobre).
Le Grand Palais en semi-retraite
Si l’art ancien, de l’archéologie au XVIIIe, représente moins de 10 % des expositions, sa présence médiatique dépend très largement parfois d’une seule monographie dans un lieu emblématique, comme Velázquez cette année au Grand Palais qui rappelait les grandes heures de Georges de La Tour en 1997 ou Courbet en 2007, ou Ingres (2006) et Raphaël (2012) au Louvre. Le Grand Palais préférant cette année exposer Hergé, la céramique coréenne ou ce qui pourrait ressembler à un fourre-tout avec « Carambolage » de Jean-Hubert Martin, c’est au Louvre que l’on peut admirer des maîtres qui bénéficient rarement d’une monographie d’envergure, tels Hubert Robert (en mars) et Edme Bouchardon (en septembre). Son antenne de Lens poursuit sa programmation ambitieuse et grand public avec Charles Le Brun (en mai) et la Mésopotamie (en novembre). Le Quai Branly continue son exploration des mers du sud avec « Les Îles Marquises » (avril). Et c’est hors de France, au Prado en Espagne (en mai) qu’il faudra aller pour admirer Jérôme Bosch à l’occasion du six centième anniversaire de sa mort.
Cette approche par grandes périodes de l’histoire de l’art ne doit pas faire oublier les thématiques inhabituelles qui se multiplient, portées à la fois par un esprit d’innovation dont fait preuve le secteur et des préoccupations économiques. La littérature fait partie sans conteste de ces nouveaux gisements. La littérature ou plus exactement les écrivains. Certes ceux-ci ont depuis longtemps leur musée qui leur consacre des expositions spécifiques (Victor Hugo, Arthur Rimbaud…), mais la nouveauté est que les autres lieux s’en emparent. Ainsi le Petit Palais, décidément très inventif, s’intéressera à Oscar Wilde (septembre), tandis que le Musée de l’Orangerie regardera Guillaume Apollinaire (avril) et le Musée de la vie romantique examinera les œuvres d’art évoquées par Baudelaire dans ces écrits. Dans un registre différent, le Palais de Tokyo a demandé à Michel Houellebecq de concevoir une exposition (juin). Succès médiatique assuré ; car si le menu s’annonce moins copieux que les années précédentes, le besoin de notoriété reste le même.
Ouverte aux Colmariens fin décembre, la belle extension du Musée Unterlinden (lire pages 8 et 9) sera officiellement inaugurée en janvier par le président de la République. En mars c’est un musée de Pont-Aven agrandi que l’on pourra découvrir. En juin, le Quai Branly fêtera ses 10 ans, avec une série de manifestations dont le point d’orgue devrait être une exposition sur le cheminement intellectuel de Jacques Chirac à l’origine du musée. En juillet, le Louvre inaugurera son nouvel accueil sous la Pyramide et en décembre, devrait (enfin) ouvrir le Louvre Abou Dhabi.
Jeff Koons au Centre Pompidou qui avait commencé en 2014 est une exception avec 5 000 visiteurs par jour (pour un total de 650 000 visiteurs). Si les expositions d’art contemporain représentent l’écrasante majorité des expositions, elles sont loin d’atteindre les audiences de l’art ancien ou moderne. En 2015, c’est un trio composé de « Velázquez » au Grand Palais, des « Clefs d’une passion » à la Fondation Vuitton et de « Pierre Bonnard » à Orsay qui monte sur le podium des expositions les plus fréquentées en nombre de visiteurs quotidiens : autour de 4 900 visiteurs par jour pour un total entre 400 000 (« Clefs d’une passion ») et 510 000 visiteurs (« Bonnard »). Une autre exposition du Musée d’Orsay aurait pu prétendre à une de ces marches, s’il n’y avait eu les attentats du 13 novembre à Paris qui ont entraîné une chute générale de la fréquentation ; « Image de la prostitution » qui se termine le 21 janvier est sur un rythme de 4 500 visiteurs par jour.
Ce n’est qu’à partir de la cinquième place que l’on trouve la création actuelle, et encore puisqu’il s’agit de mode, avec Jean Paul Gaultier (3 950 visiteurs / jour) et Picasso.mania (3 850, jusqu’au 15 février) où la référence à Picasso compte autant que ses émules. Petite déception pour « Vigée Le Brun » (jusqu’au 11 janvier) au Grand Palais qui avec 2 380 visiteurs/jours, est largement distancée par exemple par Le Corbusier au Centre Pompidou (3 250 et 268 000 visiteurs). Déception plus grande encore pour « Une brève histoire de l’avenir » au Louvre qui, malgré une campagne d’affichage dans la capitale, mérite beaucoup mieux que les 1 320 visiteurs quotidiens. Elle accueille à peine plus de visiteurs que « Les bas-fonds du Baroque », l’exposition du Petit Palais qui elle aussi méritait plus.
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Programme minceur pour les expositions 2016
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Abonnez-vous dès 1 €Bernard Buffet, Femme au verre de vin, 1955, huile sur toile, collection particulière.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°448 du 8 janvier 2016, avec le titre suivant : Programme minceur pour les expositions 2016