ITALIE
Un corpus limité d’œuvres de l’artiste dans la Péninsule, les pesanteurs bureaucratiques et l’instabilité politique expliquent ce rendez-vous manqué.
Rome.À qui l’exposition du Louvre rend-elle hommage ? à Léonard d’Amboise ou à Leonardo Da Vinci ? Les chefs-d’œuvre n’ont pas de passeport et l’art ne connaît pas de frontières, répondra-t-on. Il aura été pourtant plus facile au Maestro de franchir les Alpes il y a cinq siècles qu’à ses œuvres de traverser la frontière franco-italienne en 2019. « Le prêt de tableaux au Louvre placerait l’Italie à la marge d’un événement culturel majeur », avait déclaré le précédent ministre de la Culture Alberto Bonisoli (Mouvement 5 étoiles), qui avait dénoncé un « accord déséquilibré » dans lequel le musée français avait joué de sa puissance financière et de son prestige pour négocier au cas par cas avec les musées italiens. Le retour aux affaires de Dario Franceschini (Parti démocrate) a mis fin à cette mini-crise diplomatique entre les deux pays. Il a même salué l’exposition du Louvre comme une « grande opération franco-italienne »…
La participation du pays natal de Léonard de Vinci n’est pourtant que symbolique. « L’envoi d’œuvres en France est un acte de vassalité culturelle intolérable, déplore Federcio Mollicone, membre de Fratelli d’Italia (centre-droit) et de la commission Culture au parlement italien. Leonardo était Italien et c’est en Italie qu’aurait du être organisé cet événement en demandant à la France le prêt de La Joconde. » Alors que beaucoup d’Italiens sont encore persuadés que Mona Lisa a été dérobée par Napoléon, de nombreux historiens de l’art sont convaincus que la France vole à sa voisine la place qui lui revient de droit dans l’hommage à son plus grand génie. Mais dans les faits, elle en est parfaitement incapable.
« Une grande exposition n’est pas dans l’ADN de notre politique culturelle, explique Roberto Antonelli, vice-président de l’Accademia nazionale dei Lincei à Rome et membre du comité chargé du programme des célébrations du 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci. La Péninsule n’est pas centralisée comme l’Hexagone, nous avons des dizaines de musées importants sur l’ensemble du territoire. Au lieu d’un grand rendez-vous dans la capitale, nous organisons près de 70 expositions. Chaque musée est en outre jaloux de ses œuvres, et ce qui prévaut ici, c’est de les laisser le plus possible dans leur contexte au lieu de les prêter, avec les traditionnelles lourdeurs et entraves bureaucratiques [que cela comporte].»
Le corpus d’œuvres de Léonard de Vinci, dont le mythe est né au XIXe siècle en France, est en outre plus riche à l’étranger. Plusieurs de ses chefs-d’œuvre les plus emblématiques sont déjà présents au Louvre et ses dessins les plus important sont conservés dans les collections royales britanniques.
À cela s’ajoute les problèmes structurels de l’administration italienne pour organiser les commémorations : le manque de ressources financières suffisantes et l’instabilité politique. Il a fallu dix ans au Louvre pour monter l’exposition « Léonard de Vinci », un laps de temps au cours duquel l’Italie a vu se succéder sept gouvernements… Il a fallu attendre février 2018 pour que soit institué un comité pour les célébrations des 500 ans de la mort de Leonardo, mais aussi pour celles des 500 ans de la mort de Raphaël en 2020, des 700 ans de la disparition de Dante en 2021 et du bicentenaire de la mort de Canova en 2022. Un délai trop court pour une série de rendez-vous de cette ampleur. La date précise de la grande exposition Raphaël qui sera organisée au printemps 2020 (du 5 mars au 14 juin) au Palais du Quirinal à Rome n’a ainsi été fixée que récemment, tout comme la liste précise des œuvres que prêtera le Musée des offices de Florence.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°532 du 1 novembre 2019, avec le titre suivant : Pourquoi l’Italie n’organise-t-elle pas la rétrospective Léonard ?