Égyptologie

Plaidoyer pour l’artiste égyptien

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · Le Journal des Arts

Le 19 juin 2013 - 767 mots

Sous la houlette de Guillemette Andreu-Lanoë, le Louvre réhabilite avec maîtrise
l’artiste égyptien ce « scribe des contours », grand oublié des manuels d’égyptologie.

PARIS - Exposer l’art du dessin égyptien relève d’un défi audacieux, tant les plus beaux exemples se donnent à voir dans ces musées à ciel ouvert que sont les monuments égrenés sur les rives du Nil. Confrontant quelque deux cents témoignages issus du Louvre ou des plus grandes collections européennes, l’archéologue Guillemette Andreu-Lanoë; lève le voile sur tout un pan de la création pharaonique longtemps boudée par les égyptologues : le dessin en tant que pratique artistique à part entière.
Certes, un premier jalon avait été posé lors de l’exposition qu’elle consacra, en 2002, au village des artisans de Deir el-Médina. L’on y découvrait déjà avec émerveillement ces éclats de calcaire ou tessons de poterie (baptisés par les archéologues ostracon au singulier, ostraca au pluriel) sur lesquels les artisans égyptiens laissaient libre cours à leur spontanéité, hors du carcan des canons officiels. Mais loin d’être de simples brouillons ou esquisses, bon nombre de ces émouvants témoignages présentent, selon Guillemette Andreu-Lanoë, « des signes intéressants de création aboutie ». Il suffit, pour s’en assurer, d’admirer l’exceptionnel portrait du pharaon Ramsès VI dont la sûreté de trait et le subtil modelé des joues trahissent la patte d’un grand artiste. Faut-il reconnaître dans cet imposant ostracon un simple exercice, ou bien plutôt le modèle destiné à véhiculer au sein des ateliers le profil vigoureux de ce souverain au nez busqué ?

Les secrets de fabrication

Mais là où l’exposition du Louvre se révèle la plus passionnante, c’est sans nul doute dans les multiples interrogations qu’elle soulève sur les coulisses de la création. Non contente d’exposer de véritables chefs-d’œuvre (telle cette coupe en faïence bleue décorée de trois poissons d’une inventivité graphique inouïe), la commissaire n’a pas craint de montrer au visiteur l’envers du décor. Grilles de proportions censées guider l’apprenti-dessinateur, exercices de copies truffés de maladresses voire d’erreurs, traits rouges corrigés en noir par le maître, mais aussi pinceaux (simples tiges de jonc à l’extrémité mâchonnée), palettes de bois et cupules contenant les pigments colorés nous rendent ainsi palpables les différentes phases d’apprentissage et de production au sein de l’atelier.
Dans un discours se voulant autant « ethnologique » qu’« esthétique », l’exposition du Louvre mène en outre une passionnante réflexion sur le concept même de l’art en Égypte et le statut accordé à ses principaux acteurs. Si l’on en croit les textes, le métier de scribe jouissait ainsi d’un réel prestige au sein de la société égyptienne et se transmettait jalousement de père en fils. Dès l’Ancien Empire, une hiérarchie drastique régissait les différentes activités artistiques, distinguant les simples ouvriers affectés aux gros travaux, les chefs d’équipes encadrant les chantiers, et l’élite destinée à tracer les contours. Il est vrai qu’en Égypte le dessin est activité souveraine : c’est lui qui donne vie au sujet et efficacité magique à la divinité ou à l’objet représentés.
Force est de constater que le terme « artiste » – dans son acceptation moderne – n’existe pas dans le vocabulaire hiéroglyphique et que, hormis de rares exceptions, bien peu de noms sont parvenus jusqu’à nous. Est-ce une raison suffisante pour ne pas reconnaître la patte et le génie de certaines individualités artistiques, regrette Guillemette Andreu-Lanoë ? « Faire entrer l’artiste égyptien dans l’histoire universelle de l’art », tel est le credo de cette égyptologue qui avoue elle-même avoir fait évoluer sa pensée au fil de sa fréquentation des textes et des œuvres. Car bien loin de la doxa plongeant le créateur pharaonique dans un anonymat commode et quelque peu méprisant, l’exposition du Louvre explore avec jubilation les marges dans lesquelles sa spontanéité et sa verve éclatent au grand jour. Au fil des ostraca, des papyrus illustrés ou des bas-reliefs, le visiteur découvre ainsi un art insoupçonné teinté d’humour et de subversion. Ici des ébats érotiques à faire rougir les amateurs les plus avertis, là des parodies animalières évoquant irrésistiblement Hésiode ou Rabelais, mais aussi des scènes d’un réalisme inattendu comme ces portraits de personnages obèses ou difformes, ces types ethniques aux traits volontairement marqués, ou ces jeunes enfants surpris dans leurs jeux facétieux. Soit une « autre Égypte », gorgée de vie et de sensualité…

L’art du contour. Le dessin dans l’Égypte ancienne

Jusqu’au 22 juillet, Musée du Louvre, Aile Richelieu, dans l’espace Richelieu. L’exposition sera présentée ensuite aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, du 13 septembre 2013 au 19 janvier 2014. Catalogue sous la direction de Guillemette Andreu-Lanoë, coédition Louvre éditions/Somogy, 352 pages, 250 illustrations, 39 €.

Légende photo

Ostracon figuré : Tête de Ramsès VI coiffé de la couronne royale, XVIIIe dynastie, calcaire, musée du Louvre, Paris - © Photo Musée du Louvre, dist. RMN/Christian Décamps.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°394 du 21 juin 2013, avec le titre suivant : Plaidoyer pour l’artiste égyptien

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