Toujours les mêmes questions, toutes simples : « C’est quoi le réel ? Comment le représenter ? » Le peintre Luc Tuymans (né en 1958 à Mortsel, Flandre, Belgique) travaille depuis quarante ans à interroger le pouvoir des images et à mettre en jeu la tromperie de toute représentation visuelle : « L’image en tant que telle est devenue invisible, inexplicable et anonyme ; fragmenté en milliers d’interprétations possibles, son sens est indiscernable. »
Une centaine de ses peintures à l’huile sur toile ou sur carton ont pris place pour huit mois dans les superbes espaces du Palazzo Grassi. Alléchant mariage ! Elles surgissent comme d’évanescents fantômes aux tonalités sourdes, aux couleurs si pâles qu’elles en paraissent translucides, comme des apparitions lavées par le temps. En juste résonnance avec la Sérénissime : hors d’âge. Beaucoup sont sensées évoquer des sujets pas vraiment joyeux : la Seconde Guerre mondiale, le nazisme, l’Holocauste ou Issei Sagawa, un Japonais qui a assassiné et cannibalisé à Paris en 1981 une compagne d’étude de la Sorbonne. Mais le sens de chaque tableau est incompréhensible au premier regard. Le portrait de Issei Sagawa peint en 2014 est flou, non reconnaissable. Une toile intitulée Toter Gang [Cul-de-sac] (2018) montre deux bandes horizontales noires encadrant un rectangle vertical noir entouré d’un halo clair. On peut lire dans le petit livret très – trop ? – intelligent, où est donné le sens de chaque œuvre, que le peintre est parti d’une image de la porte en acier donnant accès aux tunnels du bunker d’Hitler à Berchtesgaden. C’est clair, Luc Tuymans veut se servir de la peinture non pas pour montrer, mais pour interroger le regard.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°724 du 1 juin 2019, avec le titre suivant : Peintures présentes et invisibles de Luc Tuymans