Tous les deux ans, la bataille fait rage pendant les mois qui précèdent l’ouverture de la Biennale de Venise.
Comme pour les jeux Olympiques, les équipes nationales s’emploient à communiquer sans trop en dire pour préserver l’effet de surprise sur le jury. L’équipe cornaquée cette fois-ci par Ida Giannelli, directrice du Castello di Rivoli (Turin) se composait de Dan Cameron du New Museum de New York, d’Udo Kittelmann du musée d’Art moderne de Francfort, de Llilian Llanes basée à La Havane et d’Humio Nanjo du musée Mori à Tokyo.
Ils ont récompensé « l’odyssée de l’âme » mise en scène par Annette Messager par le prisme du personnage de Pinocchio. Une scénographie en trois temps, poétique et brutale, qui entraîne le spectateur dans un voyage initiatique dépaysant, une fois écartés les lourds rideaux blancs de l’entrée. Un pavillon rebaptisé Casino, en lettres de néon rouge, traduisible par maison de jeu, petite maison ou bordel, c’est selon. D’une grotte envahie de six cents traversins une matrice toute de soie rouge vêtue, agitée par le compte à rebours d’une horloge molle, jusqu’à la dislocation du corps par un trampoline violemment actionné, le visiteur s’enfonce dans une fable sur l’humanité. Son issue est aussi fatale que sa douceur est voluptueuse. Annette Messager a déployé des trésors d’imagination et utilisé des techniques très sophistiquées pour orchestrer un ballet de quatorze minutes d’une soie essoufflée et hypnotique. L’artiste française a bluffé tout le monde, la récompense même symbolique d’un Lion d’or (aucune enveloppe pécuniaire à la clé) est unanime.
Le jury a aussi félicité le pavillon coréen, à notre grande surprise. En revanche Hans Schabus, digne représentant de l’Autriche, est oublié par le palmarès et c’est fort dommage. Car la montagne qu’il a fait littéralement pousser sur l’architecture-bunker de Jens Hoffmann, mérite largement le détour. Sa terre perdue se conquiert par ses entrailles, en gravissant des entrelacs de bois brut ; des escaliers labyrinthiques qui rappellent les prisons dessinées par Piranèse au XVIIe siècle. La conquête s’achève par une modeste ouverture, belvédère temporaire sur les jardins. Schabus a pour habitude de ne pas se laisser faire par les lieux qui l’accueillent, de les prendre à rebours, sa démonstration alpine est ici remarquable.
Avec plus d’à-propos, le jury a décerné une mention spéciale à la Lituanie pour la très belle participation de Jonas Mekas, venu avec un nombre impressionnant de films, ainsi qu’à l’Académie des arts d’Asie centrale. Installée à l’étage noble du palais Pisani, non loin du pont du Rialto, l’exposition collective d’artistes kirghizes, ouzbeks et kazakhs est pourtant un peu convenue, excepté l’extraordinaire vidéo du couple Rustam Khalfin et Yulia Tikhonova. Reprenant une coutume barbare du Kazakhstan, ils chevauchent fièrement leur destrier tout en faisant l’amour. Troublante prouesse filmée en caméra subjective qui à elle seule vaut le détour.
Palmarès subjectif
Quel que soit le niveau général de la Biennale, les participations nationales sont toujours à surveiller. Celles de Lida Abdul pour l’Afghanistan et de Mandana Moghaddam pour l’Iran : vidéo d’une femme repeignant les gravats d’une habitation dans un paysage naturel désertique pour la première ; bloc de béton soutenu au-dessus du sol par quatre nattes de cheveux humains pour la seconde. La simplicité de leurs gestes et de leur intention s’accorde parfaitement aux vidéos de deux artistes sélectionnés pour l’Amérique latine. Colombien, Juan Manuel Echavarria a filmé sept hommes et femmes afro-colombiens (la population la plus pauvre et déconsidérée de son pays) en cadrant leur visage au plus près. Ils chantent leur peine, les brimades, la violence de leur exil sans transmettre ni vengeance ni pitié et sont d’une dignité qui bouleverserait le spectateur le plus blasé. Quant à la Panaméenne Donna Conlon, elle fait défiler une colonie de fourmis rouges, transportant parmi des fragments de végétaux, les drapeaux de tous les pays. Histoire de symboliser avec légèreté l’emprise de l’homme sur l’environnement et de signaler que cette coexistence manque singulièrement de pacifisme.
Enfin, la Chine planifie la construction de son pavillon qu’elle ne possède toujours pas. En attendant, dans son espace temporaire, Wang Qiheng analyse le feng shui (l’art d’aménager le cadre de vie) de Venise et de ses jardins. On y apprend que la France n’a pas une très bonne aura même si son emplacement est un des meilleurs. Pourtant le 10 juin dernier, le rouge était gagnant.
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Pavillons / Le Palmarès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°572 du 1 septembre 2005, avec le titre suivant : Pavillons / Le Palmarès