Paroles d’artiste

Pauline Bastard : « Comment créer une personne et lui donner une existence ? »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 27 octobre 2015 - 746 mots

Au Collège des Bernardins, à Paris, Pauline Bastard présente « Alex ». À travers des films et une installation, l’artiste dévoile une captivante expérience tendant à créer de toutes pièces un personnage urbain. Une part du projet est également visible à la galerie Eva Hober.

Ce personnage d’Alex dont vous avez inventé la vie est-il complètement fictif ou réel aussi ?
Il est complètement réel ! Tout est parti d’une idée et il s’est passé des choses dans la réalité. Au fur et à mesure des discussions, des gens sont entrés dans le projet et je pense que c’est devenu une expérience. J’ai l’impression d’avoir fait une sorte de séminaire sur la question de l’individu.

Concrètement, comment tout cela s’est-il mis en place ?
Je crois que tout ceci est un peu basé sur une sorte de petite mise à distance de la réalité, tout simplement. J’ai travaillé avec des gens rencontrés sur des réseaux sociaux et nous avons fini par former une équipe. Au début, j’avais en tête ma question, puis j’ai commencé à parler avec une psychanalyste, une scénariste, une anthropologue. Certains répondaient à l’annonce pour être Alex et en discutant avec eux je voyais ce qu’ils faisaient, je parlais du projet, et si je sentais de leur côté une disponibilité à cette question-là et bien je commençais à les inclure dans le projet. La question c’était d’essayer d’inventer une personne, de voir jusqu’où l’on peut amener cela. Par rapport au fait de se construire en tant qu’individu, il y a des gens dont c’est le métier d’accompagner, et je trouve assez intéressant de penser que certains peuvent nous aider à être une personne. Par exemple la psychanalyste a un point de vue, mais la scénariste va penser cet Alex autrement, et l’avocat aussi à sa manière, en réfléchissant à la façon de lui donner une existence administrative. Ce qui m’intéressait, c’était donc de confronter ces visions et d’avancer ensemble sur la question « comment créer une personne et lui donner une existence ? ».

Alex a été recruté par casting. Cherchiez-vous un type particulier de personne ?
Non, le casting était vraiment une sorte de projet en soi. J’ai passé un après-midi avec chacun de ceux qui voulaient être Alex, et en cherchant quoi faire pour le faire exister. Je ne voulais ni quelqu’un de timide, ni quelqu’un qui fasse semblant d’être à l’aise. La personne retenue, François, était justement assez mal à l’aise ; ce n’était pas simple pour lui et j’ai pensé qu’il pourrait convenir et devenir Alex. Pour le vernissage, il m’a appelée et m’a demandée s’il devait s’habiller en Alex ou en François.

Dans un des films on lui demande ce que ça fait de ne pas avoir de famille. Ce sont des problématiques sur lesquelles vous avez réfléchi de manière très concrète au cours du projet, sur ce que cela pouvait impliquer ?
Oui et d’ailleurs c’est assez bizarre, car c’est la scénariste qui lui pose cette question. Or depuis le début, nous avions dit que cette équipe autour de la table constituait ses proches, il n’y avait donc pas pour moi de modèle familial classique. Et au moment où on lui pose cette question, c’est douloureux pour lui aussi, car avec eux il avait l’impression d’être entouré. Il y a donc des choses qui se créent, des rapports qui ressemblent justement à des liens qui peuvent se développer dans une cellule familiale, quelque chose qui relève de l’abandon et d’un coup il a réagi comme ça. Donc oui, nous avons réfléchi à ces liens de famille. Par exemple, il a rencontré un pêcheur qui était parfaitement au courant de ce que nous faisions et lui a appris la pêche, il l’a accueilli presque comme un fils.

Les vidéos que vous présentez correspondent-elles à des moments clés ?
Oui, ce sont des moments dont je me souvenais lors de mes discussions avec François et avec les autres, des choses qui ont été importantes et nous ont nourri. Nous nous sommes retrouvés avec une matière immense et il a fallu faire une sorte de condensé avec toutes les données importantes. On y voit le massage thaï, qui pour moi est comme la mise en forme d’Alex, une réunion, le casting et aussi trois épisodes charnières : la fabrication de ses coordonnées, l’affirmation de lui-même, ce moment où finalement le personnage s’est emparé de l’idée et où tous les deux nous avons commencé à comprendre ce qu’est Alex, et vers la fin son épanouissement.

Pauline Bastard. Alex

Jusqu’au 13 décembre, Collège des Bernardins, 20, rue de Poissy, 75005 Paris, tél. 01 53 10 74 44, www.collegedesbernardins.fr, tlj 10h-18h, dimanche 14h-18h, entrée 7 €. sDENIM VICTORY, jusqu’au 14 novembre, Galerie Eva Hober, 35-37, rue Chapon, 75003 Paris, tél. 01 48 04 78 68, www.evahober.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-13h/14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°444 du 30 octobre 2015, avec le titre suivant : Pauline Bastard : « Comment créer une personne et lui donner une existence ? »

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