MARSEILLE - L’exposition en hommage à Roger Pailhas surprend par ses paradoxes et son absence de compromis. La richesse et la qualité des oeuvres exposées témoignent d’un rare désir d’art aussi bien monté. Mais par caprice et trop bien servi, on imagine tout ce qui manque par reconstitution de mémoire en réseau et filiations, comme des oubliés indispensables. À l’arrivée, s’il avait fallu témoigner au complet, c’est le MAC de Marseille réquisitionné, puis une délocalisation au Whitney Museum à NewYork pour les oeuvres absentes, augmenté du Musée d’art moderne de la Ville de Paris pour les oeuvres annexes, documentaires et le dépôt des munitions.
Derrière ces besoins d’espace se profile l’énergie du galeriste qui de productions en expositions aura très largement couvert une bonne partie des talents nationaux et internationaux souvent très tôt exposés à l’Arca ou plus tard à l’espace du vieux port (on disait chez Pailhas ou chez Roger en fonctio du degré de « baston » entretenu avec le galeriste artiste). Tous les artistes, à l’image de Pierre Huyghe, furent immédiatement des talents reconnus par des achats publics ou des collections privées. Un exemple vient à l’esprit : au début des années 1990, Joep Van Lieshout, totalement inconnu, est exposé en France chez Pailhas. Roger m’avait demandé à l’époque (il y a quinze ans) d’attirer en vain l’attention des architectes sur le travail de Joep en imaginant naïvement que les architectes admiraient les artistes. Roger cachait avec pudeur son découragement.
Des choix radicaux
Cette rétrospective marseillaise est aussi celle d’un autre paradoxe : les oeuvres exposées, toutes d’excellence, essentiellement prêtées, relatent une fausse profusion car l’on pourrait croire à l’abondance des collectionneurs, généreux acheteurs. C’est faux, Roger s’est ruiné la santé à sensibiliser les collectionneurs français. À Marseille, une seule poignée de mains militantes aura accepté de « raquer » pour soutenir le galeriste quand, dans les années 1990, le marché de l’art était au plus bas de l’estime. Un souvenir vient encore à l’esprit quand Roger organisait les sessions d’Art Dealer. Il était obsédé par la possibilité que les galeries invitées choisies par lui-même puissent repartir sans n’avoir rien vendu, par cet échec possible. Derrière le dur se cachait un être sensible et inquiet. Marseille n’était pas Miami. Art Dealer Marseille était romantique et faisait venir les artistes repentis, quand Art Basel Miami Beach était réaliste et attirait d’abord les capitalistes culpabilisés. Il négociait malgré tout durement les galeries invitées afin que ses clients fidèles achètent chez ses confrères, quitte à ne plus avoir de budget d’achat pour sa propre galerie. Il en faisait une question d’honneur. Moi-même absent à deux sessions d’Art Dealer, Roger achetait en francs pauvres à ma place deux pièces magnifiques de Jim Shaw et d’autres encore. Les choix de Roger étaient sûrs et radicaux bien plus que les miens. Un autre paradoxe encore aura été l’inévitable image de Roger le voyou marseillais bien sûr, qui ne pouvait échapper aux lieux communs de la ville où il exerçait. Les musées comme les collectionneurs qui auront acheté chez Pailhas de belles oeuvres solides et politiques, notent que ces dernières témoignent de leurs temps, c’est bien là qu’est la vraie mémoire.
Au bilan de l’économie urbaine, la fermeture de la galerie et d’Art Dealer est une lourde perte pour l’image de Marseille, pour son économie culturelle comme pour sa vie nocturne. Chaque vernissage était la soirée à ne pas manquer, où l’on ne pouvait plus entrer par sécurité, victime du succès, comme ces cocktails les plus allumés et les plus sexys organisés sur la terrasse surplombant le vieux port les soirs de vernissage. Et puis à développer encore du paradoxe, il ne faut en rien que cette très belle exposition du MAC, très gustative, jouissive, heureuse, cache les vrais désirs profonds de Roger, collectionneur radical, exigeant, quasiment paranoïaque qui exposa ou défendit très tôt avant tout le monde les artistes tout aussi irréductibles et fondamentaux que sont Daniel Buren, John Knight ou Bernard Bazile à l’époque où j’étais lycéen pour l’un, en faculté pour l’autre et architecte imberbe pour le dernier. À combien de profanes aura-t-il forcé l’admiration due aux artistes par la gifle et par le rire ?
Roger était un braqueur à l’instinct rapide et pensait plus vite que l’ombre. Il avait la puissance de tirs d’un Sukhoï 27 et la puissance d’analyse d’un Awacs. Il ne s’est jamais trompé, c’est le destin qui s’est trompé sur lui.
Jusqu’au 7 avril, Musée d’Art Contemporain, 69, avenue d’Haïfa, 13008 Marseille, tél. 04 91 25 01 07, tlj sauf lundi 10h-17h.
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Pailhas au MAC
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Jean-Louis Maubant, Thierry Ollat, Marie-Christine Pailhas - Nombre d’artistes : 4
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°250 du 5 janvier 2007, avec le titre suivant : Pailhas au MAC