PARIS
Le « kiff » : expression populaire qui signifie prendre du plaisir, dérivée du mot kief, un mélange de tabac et de chanvre indien qui déclenche un état de béatitude.
En 1857, le peintre Eugène Fromentin écrit dans Une année dans le Sahel : « Le kief est proprement le repos plein de bien-être, et poussé jusqu’à l’ivresse, produit par toute boisson ou par toute fumée stupéfiante. » C’est le kiff ! Voilà exactement l’état d’enchantement – sans les stupéfiants, bien sûr – dans lequel nous plonge la rétrospective Georgia O’Keeffe, au Musée national d’art moderne. Nous avions déjà pu mesurer l’importance de l’artiste lors de l’exposition « Georgia O’Keeffe et ses amis photographes », en 2015 à Grenoble. Mais jamais avec une exposition de cette ampleur : plus de cent œuvres couvrant toute la production de l’artiste. Comment expliquer que Georgia O’Keeffe (1887-1986) n’ait pas été exposée de cette manière plus tôt en France ? Certes, la réception de l’œuvre a souffert de la condition féminine de l’artiste, probablement éclipsée par l’ombre de son mari, le photographe et importateur de l’art moderne aux États-Unis, Alfred Stieglitz. Certes, la peintre a maintes fois pris la tangente de New York au profit de la tranquillité, par exemple, du Nouveau-Mexique. Mais cela n’explique pas tout : Georgia O’Keeffe a en effet vu son travail très tôt reconnu aux États-Unis, bénéficiant même d’une rétrospective en 1946 au MoMA – la première consacrée à une femme peintre dans ce musée – et d’une autre en 1971 (année où sa vue commence à dégénérer) au Whitney Museum (avant Chicago et San Francisco). Sans doute cela tient-il donc à d’autres choses, à commencer par la difficulté à situer O’Keeffe dans la doxa de l’histoire de l’art : ni totalement abstraite, ni toujours figurative, l’artiste échappe par ailleurs aux courants de l’expressionnisme abstrait (Pollock) et du Color Field Painting (Rothko) avec lesquels on reconnaît habituellement la naissance de l’art moderne américain. Mieux, elle les précède, se situant de facto en dehors des radars ! La platitude de sa peinture, proche parfois de celle d’un Edward Hopper, a pu déconcerter aussi. Comme ses sujets : des fleurs à l’érotisme débordant, les paysages montagneux du Nouveau-Mexique (dans lesquels flottent parfois des squelettes d’animaux), des fermes… autrement dit rien de bien sérieux dans une histoire digne de l’art. Rien de bien sérieux, sauf la peinture elle-même. Car la rétrospective du Centre Pompidou révèle – il était temps – que Georgia O’Keeffe n’est pas la peintre de quelques bons tableaux, mais l’autrice d’un grand œuvre, original et puissant, à l’origine d’une voie originale dans l’art du XXe siècle. Le kiff, on vous dit !
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Ô joie, O’Keeffe
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°747 du 1 octobre 2021, avec le titre suivant : Ô joie, O’Keeffe