Consacrée à la représentation
de l’animal dans l’art du XXe siècle, « La part de l’autre » se concentre principalement sur la création contemporaine. Jusqu’en septembre, l’exposition réunit au Carré d’art de Nîmes les œuvres d’une vingtaine d’artistes autour d’un thème vaste qui court de la corrida au clonage.
NÎMES - Pour quelques mois, le Carré d’art de Nîmes semble s’être transformé en Musée d’histoire naturelle. Mais d’un cerf adoptant la position du missionnaire pour s’accoupler (Trophy, Wim Delvoye), à un mouton à tête de chien ou un gnou à tête de cygne – Misfit (Rottweiller I), Misfit (Gnou/Cygne) – de Thomas Grünfeld, les histoires qui y sont contées n’ont rien de naturel. Intitulée “La part de l’autre”, l’exposition du Musée d’art contemporain s’apparente pourtant bien à un bestiaire, une encyclopédie zoologique qui envisage la représentation des animaux dans l’art du XXe siècle. Proie, maître, double, compagnon ou cousin proche, les rôles adoptés par l’homme face aux autres espèces divergent autant que les œuvres des vingt-cinq artistes rassemblées ici, et il serait impossible d’en faire l’abécédaire. Sans réelles surprises reste toutefois l’impression qu’il est aujourd’hui impossible de figurer l’animal sans qu’il se rapproche de l’homme et vice versa. Dans Le Palais (1998) de Xavier Veilhan, des avocats d’opérette font face à un pingouin assorti. Quant à Oleg Kulik, il a fait depuis longtemps ses choux gras d’une théorie de l’évolutionnisme inversé.
Ces rapprochements “contre nature” ne datent pas d’hier, et les premières salles consacrées au thème de la corrida (cinquantenaire de la Feria de Nîmes oblige) ne font pas exception. Le manichéisme n’a pas sa place dans l’arène. Les œuvres réalisées par Picasso, Brauner et Masson dans les années 1920 et 1930 prouvent que ce sujet, largement magnifié par Bataille, n’est évidemment que prétexte et ne saurait se résoudre à un simple face-à-face entre l’homme et l’animal. Le torero, plus le taureau, sans compter le cheval, l’affaire vire rapidement au triolisme, voire plus si affinités. Chez Picasso, la femme torero a l’extase au bord des lèvres (Marie-Thérèse en femme torero, gravure de 1934) et chez Masson, le cheval mord à pleines dents (Corrida mythologique, encre et aquarelle de 1936). Sous la plume de Brauner, les cornes du taureau sortent des orbites des personnages. Menaçant, ces organes symbolisent une vision phallique (L’Œil, 1937). Conclusion de tout cela, la figure du Minotaure récurrente dans le vocabulaire des trois artistes appartient, elle, à un bestiaire mythologique toujours vivace. Ainsi, dans les années 1960, par ses actions et peintures sanglantes, Otto Muehl reformule un primitivisme carnassier à la violence virulente, mais aux significations déjà anachroniques. Contemporain de l’Actionnisme viennois, le chamanisme de Beuys (I like America and America likes me, 1974) participe d’une conception semblable et datée de la nature comme vraie, brute et sauvage.
La culture a depuis longtemps réduit tout cela en réserves. Observatrice attentive du mouvement, Karen Knorr peut ainsi photographier un mouton dans les salles d’arts décoratifs du XVIIIe siècle, décidément très pastorales, d’un musée (What is human ?, 2001). Une fois les espèces protégées, toutes les histoires sont possibles. Dans ses aquarelles sans titre de 1992, Rosemarie Trockel prend soin d’inverser les rôles de la ventriloquie, et laisse aux animaux le soin d’animer les marionnettes.
À en croire l’accrochage proposé dans les salles finales, l’animal est redevenu ses dernières années le support idéal de la fable. Il est un masque bienvenu pour entamer une narration, à l’image des chroniques félines d’Alain Séchas, ou des promenades de Shimabuku, qui s’obstine à faire visiter le monde à un poulpe (Et puis, j’ai décidé de faire une visite guidée de Tokyo avec la pieuvre d’Akashi, 2000). Pas bête !
- LA PART DE L’AUTRE, jusqu’au 15 septembre, Carré d’art Musée d’art contemporain de Nîmes, place de la Maison Carrée, Nîmes, tél. 04 66 76 35 70, tlj sauf lundi, 10h-18h, catalogue Actes Sud, 160 p., 32 euros.
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Nos amies les bêtes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°150 du 31 mai 2002, avec le titre suivant : Nos amies les bêtes