Art ancien

Nature morte de Luis Egidio Meléndez

Par Isabelle Manca-Kunert · L'ŒIL

Le 27 septembre 2022 - 1024 mots

Cette Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage du peintre espagnol Luis Egidio Meléndez (1716-1780) est l’une des œuvres phares de l’exposition « Les choses », de Laurence Bertrand Dorléac, au Louvre.

Luis Egidio Meléndez (1716-1780), Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage, 1771, huile sur toile, 62 x 84 cm Madrid, Museo Nacional del Prado. © Photographic Archive Museo Nacional del Prado
Luis Egidio Meléndez (1716-1780), Nature morte avec pastèques et pommes dans un paysage, 1771, huile sur toile, 62 x 84 cm.
© Photographic Archive Museo Nacional del Prado

L’heure de réhabilitation a-t-elle enfin sonné pour la nature morte ? Ce genre, ô combien mal nommé, semble en effet sortir du purgatoire après des années de discrédit. Imaginez un peu, cela faisait soixante-dix ans qu’aucune grande exposition ne lui avait été consacrée en France. Depuis, cette catégorie-fleuve était regardée à tort comme une production désuète. Or il suffit de faire un tour sur les réseaux sociaux pour se convaincre que nos congénères sont plus friands que jamais des images documentant leur quotidien par le menu. Qu’il s’agisse des photos immortalisant leurs repas ou leurs dernières emplettes en matière de mode comme de consommation culturelle.

Un art qui remonte à la préhistoire

Il n’y a au demeurant rien de surprenant à cela, tant l’intérêt pour notre univers matériel remonte à des temps immémoriaux. La nourriture qu’il consomme et les objets qui l’entourent ont d’ailleurs constitué les premiers motifs dessinés et gravés par l’homme. L’exercice de la nature morte se confond ainsi avec les origines de notre civilisation puisque les témoignages les plus anciens identifiés à ce jour remontent à la préhistoire ! Son émergence coïnciderait donc avec la sédentarisation de l’homme et son accumulation de biens. Dès l’origine, il semble que cet intérêt ait été motivé essentiellement par la dimension symbolique et le potentiel iconographique de ces objets. Ce genre en apparence trivial n’est donc pas dénué de profondeur puisqu’il nous renseigne sur l’évolution de notre rapport aux choses qui constituent notre univers intime et au sens qu’on leur confère au fil des siècles. À l’image de notre matérialisme, la production de natures mortes a d’ailleurs logiquement fluctué ; avec des pics notables notamment durant l’Antiquité puis au siècle d’or. Genre surtout usité dans la culture occidentale, il a particulièrement brillé dans certains foyers artistiques. À l’image des Pays-Bas et de l’Espagne où les peintres ont porté ce genre à un degré de raffinement, de poésie et d’inventivité sans précédent.

Pastèque

Difficile de ne pas se laisser happer par ces fruits généreux débordant de sève et de gourmandise. Il faut dire que pour un spectateur contemporain de Meléndez, ces énormes pastèques qui occupent les deux tiers de la toile étaient loin d’être innocentes. Si aujourd’hui ce fruit est synonyme des vacances d’été, il revêtait alors une tout autre signification. La pastèque, comme le melon ou la figue, était en effet un symbole on ne peut plus charnel et suggestif puisqu’elle évoquait sans ambiguïté le sexe féminin. Un symbolisme qui se justifie par sa couleur, mais aussi sa texture. Le peintre, qui en a fait un de ses fruits de prédilection, apporte un soin tout particulier pour rendre fidèlement les délicates nuances de sa chair juteuse et brillante, en alternant les touches de rose, de rouge et de blanc. Coloriste de talent, Meléndez se distingue aussi par son travail sur la lumière. En 1952, lors de l’exposition mythique sur la nature morte, Charles Sterling parlait d’ailleurs d’une « lumière torride » à son sujet.

Vanité

Vanité, tout est vanité nous enseigne L’Ecclésiaste, et les peintres des XVIIe et XVIIIe siècles ont été particulièrement sensibles à ce message d’humilité. La nature morte est en effet alors fréquemment prétexte à la méditation sur le caractère éphémère de la vie et la précarité des biens matériels, en opposition aux richesses spirituelles, elles, impérissables. Ainsi, dans cette composition pourtant gorgée de soleil et de vitalité, le peintre suggère subtilement que tout est voué à s’altérer avant de disparaître. Car le diable se niche dans les détails et à y regarder de plus près, ces appétissantes pommes se révèlent piquées de petites taches de moisissure. Ces taches microscopiques, rendues avec une grande virtuosité, nous rappellent cruellement la nature transitoire de toute chose. Cette dimension méditative et spirituelle tranche clairement avec la tonalité solaire de cette composition. Elle inscrit son auteur dans la prestigieuse tradition des bodegones du siècle d’or espagnol.

Virtuosité

Avec une facilité déconcertante, Luis Egidio Meléndez parvient à suggérer la sensation de fraîcheur que l’on ressent en croquant à pleines dents dans une pastèque. Quelques gouttes d’eau, judicieusement placées, suffisent ainsi à aiguiser les sens du spectateur. Le tout sublimé par une lumière théâtrale et un art consommé de la composition. Le peintre a en effet profondément renouvelé le genre des bodegones, les natures mortes espagnoles inventées au siècle d’or. Il y insuffle une certaine légèreté par son talent de coloriste et une bonne dose de modernité grâce au dynamisme de ses compositions. La pastèque est par exemple découpée en facettes vibrantes tandis que les pommes sont très irrégulières et semblent rouler sur la toile. Enfin, sa grande maîtrise du clair-obscur anime élégamment la scène. Ses qualités de composition, autant que sa finesse d’exécution, expliquent qu’il soit considéré comme le dernier des grands bodegones. Sa virtuosité lui a même valu le surnom flatteur de Chardin espagnol.

Inventaire

La virtuosité et le réalisme de Meléndez étaient déjà loués de son vivant. L’artiste a même été un des tout premiers à intégrer l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando en tant que peintre de natures mortes ; genre pourtant dévalorisé au XVIIIe siècle. Malgré le peu d’estime pour cette catégorie considérée comme servile, l’artiste s’est vu confier une commande exceptionnelle. Pendant une quinzaine d’années, il a mis ses pinceaux au service du prince des Asturies, le futur roi Charles IV. Passionné d’histoire naturelle, le mécène a souhaité se constituer pour son cabinet de travail une collection de tableaux documentant la richesse du royaume. Le peintre a ainsi réalisé quarante-quatre natures mortes immortalisant toutes les denrées produites en Espagne. Afin de rendre vivant cet inventaire des richesses du pays, l’artiste a dû se montrer inventif. C’est notamment à cette fin qu’il a eu recours à des compositions inhabituelles, à l’image de ce paysage servant de toile de fond.

 

1716
Naissance de Luis Egidio Meléndez à Naples, alors sous possession espagnole
1742-1748
Assistant de Louis-Michel Van Loo
1759-1774
Peint 44 natures mortes pour le Musée d’histoire naturelle
1780
Décède à Madrid
« Les choses. Une histoire de la nature morte »,
du 12 octobre au 23 janvier 2023. Musée du Louvre, Paris-1er. Tous les jours sauf le mardi de 9 h à 18 h, le vendredi jusqu’à 21 h 45. Tarifs : 15 à 17 €. Commissaire : Laurence Bertrand Dorléac, avec la collaboration de Thibault Boulvin et Dimitri Salmon. louvre.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°758 du 1 octobre 2022, avec le titre suivant : Nature morte de Luis Egidio Meléndez

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