Coup de cœur peu connue en France, y compris des spécialistes, l’artiste et designeuse décédée en 2020 fait l’objet d’une première exposition à Bordeaux. Une expérience immersive !
Où finit le design et où commence l’art ? L’exposition Nanda Vigo, quasiment inconnue en France, risque de ne pas apporter de réponse à ceux qui se posent encore la question. Et pour cause : Nanda Vigo n’était ni architecte ni designer ni artiste, mais tout cela à la fois. Née en 1936 à Milan, Vigo étudie l’architecture à Lausanne. Impressionnée par la découverte de la Casa del Fascio de l’architecte rationaliste Giuseppe Terragni, elle part aux États-Unis terminer ses études auprès de Frank Lloyd Wright. La collaboration est un fiasco. De retour à Milan à la fin des années 1950, la jeune femme, passionnée de science-fiction, frappe à la porte du maître du spatialisme, Lucio Fontana, et de l’architecte Gio Ponti, avec lesquels elle devient amie. À cette période, elle se rapproche aussi de Piero Manzoni – qui devient son compagnon – et d’Enrico Castellani, avant de fréquenter les membres du groupe Zéro (Mack, Piene, Uecker, Klein…) avec lesquels elle expose entre 1964 et 1966. C’est elle qui organise, en 1965, l’exposition « Zero Avantgarde » dans l’atelier de Fontana. Est-ce parce que l’initiale de son patronyme fait qu’elle se retrouve à la fin d’une longue liste d’artistes masculins, derrière Uecker et Verheyen, que ceux-ci l’acceptent dans leur groupe ? Sans doute cela joue-t-il en sa faveur, mais Nanda Vigo, rare femme à appartenir au mouvement Zéro avec Yoko Ono, fait preuve d’une originalité et d’un talent sans pareil dans l’art de brouiller les frontières qui plaisent à ses congénères. Architecture, design, art…, Vigo ne choisit pas – ne veut pas choisir ! –, préférant travailler l’espace intérieur, cosmique ou mental, hors de toute catégorie. La carrière de la créatrice est lancée, qui dessinera certains des objets iconiques du design italien, comme le fauteuil Due Più (« deux de plus »), mélange du fonctionnalisme du Bauhaus et de la sensualité surréaliste – comment ne pas penser aux objets de Meret Oppenheim devant le mobilier en fourrure de Vigo ? –, et le lampadaire Golden Gate. L’exposition « L’espace intérieur », elle non plus, ne veut pas choisir, réussissant à rendre à Nanda Vigo sa complexité, ce que les deux jeunes commissaires, Victoire Brun et Justine Despretz, appellent sa transversalité. Déployé dans l’ancienne prison d’arrêt colonisée en 2016 par le Madd, le parcours propose autant de coups de projecteur sur son travail et sa personnalité que de cellules : sa radicalité, son vocabulaire (le miroir, la lumière, etc.), son mobilier (dont le meuble Storet, autre pièce iconique de Vigo). Dépouillées de leurs cartels, les cellules se visitent comme autant d’installations finement scénographiées par Bérengère Bussioz. Dédiée à Lo Scarabeo sotto la foglia, la cellule numéro 3 permet par exemple de visiter cette « maison scarabée », réalisée dans les années 1960 avec la complicité de Ponti, grâce à un convaincant dispositif immersif. Un peu plus loin, Genesis (2006) est une expérience esthétique (et cosmique) chromo-lumineuse à vivre, digne des installations de James Turrell et d’Olafur Eliasson. Clou de l’exposition, la reconstitution d’Ambiente Spaziale : Utopie, une installation réalisée en 1964 avec Lucio Fontana pour la Triennale de Milan : soit un corridor rouge baigné de lumière rouge dans lequel le visiteur est invité à déambuler sur un sol ondulé recouvert de moquette. Une invitation, disent les commissaires, à « se sentir libre et à rêver ». Aussi libre que le fut Nanda Vigo.
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Nanda Vigo, redécouverte d’un esprit libre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°757 du 1 septembre 2022, avec le titre suivant : Nanda Vigo, redécouverte d’un esprit libre