Les photomontages de John Heartfield haussent le ton au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg.
STRASBOURG - « Utilisez la photographie comme une arme ! » avait-il scandé en 1929… John Heartfield (1891-1968) parlait politique à coups de ciseaux, comme en témoigne la centaine de photomontages réunis au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. Issues de la revue AIZ (Die Arbeiter-Illustrierte-Zeitung, « Le Journal illustré des ouvriers »), à laquelle a collaboré l’artiste de 1930 à 1938, ces images ont composé une satire des plus virulentes de la xénophobie et de la montée du nazisme dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres. John Heartfield, Helmut Herzfeld de son vrai nom – qu’il troque en 1916 contre le pseudonyme anglais –, a voué tout son œuvre à la défense du peuple, souhaitant lui inspirer une conscience politique. En 1918, il adhère au parti communiste allemand (KPD), se ralliant au mot d’ordre de Lénine d’un art mis au service des masses. Pourtant, loin de verser dans le triomphalisme du réalisme socialiste, l’artiste a milité à partir de fragments de photographies qu’il a mis en scène sur un mode tantôt burlesque tantôt tragique. Ainsi, le photomontage Pourvoyeur forcé de matériel humain : Courage ! L’État a besoin de chômeurs et de soldats ! (1930) associe la photographie d’une ménagère, les mains croisées et l’air hébété, à celle d’un jeune soldat mort. Cynique, et cependant visionnaire, John Heartfield a dénoncé âprement les événements qui ont conduit à la Seconde Guerre mondiale. En 1932, il évoque l’échec de la Conférence mondiale pour le désarmement avec le photomontage La Signification de Genève, où l’image d’une colombe transpercée par une dague surplombe un bâtiment fédéral allemand. D’une lucidité froide, il n’a pas hésité aussi à porter des accusations contre les hautes personnalités politiques, tout en incriminant l’infiltration des nazis dans les différents domaines : science, religion (L’Évêque du Reich met la chrétienté au pas, 1934), sport…
La couverture de AIZ intitulée Instrument dans la main de Dieu ? Jouet dans la main de Thyssen ! (1933) transforme Adolphe Hitler en un pantin manipulé par le géant de l’acier allemand Fritz Thyssen, lequel finança le parti nazi ; ou encore, La Croix n’était pas encore assez lourde (1933) montre un SS cloutant des rajouts sur la croix chrétienne pour en faire un swastika. À la nomination de Hitler au poste de chancellier, John Heartfield s’exile avec la revue AIZ à Prague (ex-Tchécoslovaquie) pour maintenir une parole libre, au risque de l’extradition. Militant, il n’a cessé de s’opposer aux ravages de la guerre avec pour unique arme son art. Dans les années 1960, il publie un catalogue rassemblant les photomontages exécutés pour AIZ dans le but de dénoncer les travers de la guerre froide, rappelant l’actualité inexorable de son travail dans une Histoire se répétant indéfiniment…
Jusqu’au 23 juillet, Musée d’art moderne et contemporain, 1, place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, www.musees-strasbourg.org, tlj 11h-19h sauf jeudi 12h-22h et dimanche 10h-18h. Catalogue, éd. Éditions des Musées de Strasbourg, 160 p., 32 euros, 2-35125-032-X.
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Mon art comme arme
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaires : Emmanuel Guigon, Franck Knoery - Nombre d’œuvres : 114 photomontages 56 couvertures de livres de la collection de l’Institut Valencià d’Art Modern (IVAM), à Valence (Espagne) ; 12 originaux de la collection des Archiv der Akademie der Künste, Berlin - Nombre de salles : 4
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°239 du 9 juin 2006, avec le titre suivant : Mon art comme arme