Moholy-Nagy replacé dans sa « lumière »

Deux cents photogrammes exposés à Paris, puis à Essen

Le Journal des Arts

Le 1 janvier 1996 - 523 mots

Près de deux cents \"photogrammes\" de Moholy-Nagy, découverts en 1992 aux États-Unis et achetés conjointement par le Musée national d’art moderne et le Folkwang Museum de Essen : une grande exposition, passée inaperçue, mais qui replace Moholy-Nagy dans sa \"lumière\". Et la collaboration exemplaire de deux musées, dans le cadre d’une Europe de l’émulation, et non de la surenchère.

PARIS - On connaissait quelques photogrammes de Moholy-Nagy (il en publia dans son livre-clé en 1925, Malerei / Photographie / Films), on avait pu en voir dans l’exposition Moholy (Valence, Cassel et Marseille, 1991) dont Paris ne fut pas gratifié : mais ce nouvel ensemble oblige à reconsidérer tout l’œuvre de Moholy-Nagy dans la perspective du photogramme, comme l’explique Alain Sayag, le maître d’œuvre de cette découverte.
 
Peintre de l’avant-garde hongroise, émigré à Berlin, Moholy "invente" en 1922 sa pratique personnelle du photogramme, qui consiste à impressionner du papier photographique après avoir posé des objets sur la surface. Contrairement à Man Ray, qui a également découvert ce principe (connu depuis les origines de la photographie) la même année – les rayogrammes –, Moholy-Nagy ne cherche pas à décalquer des objets plus ou moins reconnaissables, il tente de construire un monde, fait de trace lumineuses (blanches) sur un fond sombre, "monde non-objectif" conforme à sa pratique constructiviste (proche de Lissitzky) : il les baptise d’abord "compositions lumineuses". Il y a là beaucoup plus qu’un jeu, ou qu’un primitivisme de la forme, puisque Moholy élabore à partir de là (et du photogramme particulièrement) une esthétique de "la lumière comme facteur formel primaire qui crée l’espace et le mouvement" (H. Molderings) : en 1929, Moholy proposera des ateliers de lumière pour remplacer les académies de peinture...

Démonstration magistrale
Ce que l’on comprenait déjà à partir des écrits de Moholy nous est donné là en démonstration magistrale : un artisanat purement photographique (bien que n’utilisant aucun appareil ou chambre noire), qui guide le travail de toute une vie – de l’un des grands artistes du siècle – et lui sert de laboratoire expérimental pour une "Nouvelle Vision". Le Space-light modulator (1930), le graphisme publicitaire, les tableaux sur rhodoïd, les sculptures de plexiglas dérivent manifestement du modèle photogrammique. Jus­qu’à la photographie (traditionnelle, avec appareil) que Moholy n’aborde qu’en 1925, mais débarrassé des a priori perspectivistes ; il est alors l’un des propagateurs de la Nouvelle Photo­graphie qui s’impose dans toute l’Europe.

L’exposition, magnifiquement présentée dans des salles rectangulaires, triangulaires et circulaires (vocabulaire de base du constructivisme), met en évidence les périodes créatives qui correspondent aux fonctions successives de Moholy : professeur (atelier du métal) au Bauhaus de Weimar-Dessau (1923-28), designer, graphiste, typographe, scénographe à Berlin, Amsterdam, Londres (1928-1937), créateur de la School of Design de Chicago (1937-1946).

On ne se plaindra que d’une chose (avec véhémence) : qu’une telle richesse ne soit visible que sept semaines, et reléguée à l’inhabituel sous-sol(Féminin-masculin au pina­cle, Moholy au tréfonds ?). Ce mon­de de lumière ferait-il plus honte – ou peur – que l’autre ?

LASZLO MOHOLY-NAGY, COMPOSITIONS LUMINEUSES, 1922-1943, Centre Pompidou, jusqu’au 1er janvier 1996 ; Folkwang Museum, Essen, 4 février-31 mars. Le catalogue est splendide, complet, documenté ; 220 p., 245 ill., 280 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°21 du 1 janvier 1996, avec le titre suivant : Moholy-Nagy replacé dans sa « lumière »

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