Mark Dion

Curiosité naturelle

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 2 août 2007 - 1144 mots

Theatrum mundi : armarium offre une synthèse de l’œuvre de Mark Dion, artiste américain dont les recherches pseudo-scientifiques sont rassemblées au Carré d’art de Nîmes.

Archéologue, explorateur, biologiste, collectionneur : à 45 ans, l’Américain Mark Dion est tout cela à la fois avec un seul diplôme d’art en poche. Depuis la toute fin des années 1980, il s’est mis à ramasser, trier, inventorier, cataloguer, ranger, sonder avec une rigueur teintée d’absurdité qui a
toujours fait basculer ses sculptures et installations dans la dérision.

Objets trouvés pour cabinets de banalités
Exposé dans la section « Musées et culture de la collection » de l’exposition intitulée « L’histoire naturelle du musée », Theatrum mundi : armarium qu’il a réalisé en 2001 avec l’artiste britannique Robert Williams, cristallise les directions que l’Américain a suivies ces dernières années.
De 1993 à 1998, il a patiemment rassemblé les pièces d’un imaginaire cabinet de Cousteau. Le Cabinet du règne terrestre constitue, quant à lui, l’une des sections d’un important Cabinet des curiosités créé pour le Weisman Museum of Art dans le Minnesota, tandis que la Tate Modern peut s’enorgueillir de posséder un ensemble exceptionnel d’objets trouvés dans les boues des rives de la Tamise passées au peigne fin par l’artiste et une équipe de bénévoles en 1999.
Déjà, en 1997, il avait profité de l’assèchement d’un canal vénitien pour se livrer à une fouille en règle de sa vase. De là était né un système de classement complexe par fonctions, tailles, formes, couleurs d’objets plus ou moins anciens et intègres. Une vie vénitienne auscultée avec minutie et dérision, affichant tous les symptômes de l’autorité scientifique, pour un travail d’analyse critique de notre conception du monde et de la nature, voici l’enjeu de l’art de Mark Dion.

Invitation à voyager dans une encyclopédie personnelle
Pour la morale de cette affaire, la ville de Venise a retenu dans ses collections tous les objets anciens et précieux. La valeur accordée à tous les autres objets, les critères de leur évaluation, la question même de la hiérarchie entre eux, voilà qui passionne l’artiste.
Pour sa campagne londonienne, Mark Dion a organisé un énorme meuble et agencé avec goût les milliers d’objets récoltés, manipulant et déconstruisant les conventions muséales et scientifiques. L’étiquetage, le style de l’écriture, le design même du mobilier relèvent d’une combinaison savante de sources et de références qui nous emmènent en expédition dans une encyclopédie toute personnelle.
Déroutant l’autorité scientifique, Mark Dion échafaude avec ses cabinets de curiosités une théorie des valeurs et un espace d’interprétation énorme pour le spectateur. Présentée au Carré d’art de Nîmes, Theatrum mundi : armarium en offre une condensation.

Théâtre personnel
Le musée domestique
Mark Dion élabore son « théâtre du monde » comme les humanistes le faisaient avec leurs cabinets de curiosités, ou Wunderkammer, chambres des merveilles. Il glane, chine, ramasse, explore pour rassembler dans des armoires aux portes vitrées, ses trouvailles.
Alors que les cabinets constitués entre les xve et xviie siècles faisaient une large place aux anomalies de la nature, aux spécimens rares, aux monstres et pièces précieuses, Dion joue sur un registre plus modeste et drôle, sauvant de l’oubli des bribes d’objets. Ces petits rebus, qui n’auraient aucune grâce aux yeux des archéologues, trouvent une nouvelle légitimité dans la cosmogonie de bric et de broc constituée très sérieusement par l’artiste américain.
Dans la lignée du Belge Marcel Broodthaers qui ouvrit un musée d’Art moderne, Département des aigles au début des années 1970, Dion livre un musée personnel et son interprétation de la nature par le prisme de la culture. Du microcosme au macrocosme, l’armoire merveilleuse de Theatrum mundi est à la fois installation et sculpture.

De la méthode
Le goût de l’empirisme
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la méthode de classement de Mark Dion est empirique. À gauche du squelette, ci-gît la culture ; à droite, la nature. Tout en haut à gauche, une petite étagère vide : Dieu tout simplement, irreprésentable selon bien des religions. En dessous, tout ce qui est du domaine du verbe comme la littérature, la poésie, l’histoire.
Si l’on descend encore, le niveau en dessous rassemble l’intelligence, le savoir théorique, artistique, architectural, musical, scientifique et autant de métronome, trompette, pipettes, pilons et sculptures. Un cran en dessous, Mark Dion place l’intellect avec ses outils et son équipement. Les clefs, l’horloge, une balance, un thermomètre matérialisent de leur côté la rationalité tandis qu’une tête de loup, des amulettes, des livres, une paire de dés renvoient à l’imagination, la religion, les superstitions et la foi. Tout en bas, reprenant la classification archéologique, l’artiste dresse un panorama du paléolithique à la civilisation.

Galerie de l’évolution
Une théorie très personnelle
Dans la section « nature », Mark Dion fournit sa théorie de l’évolution. Sur une base minérale constituée de spécimens de fossiles et de roches, puis de couches d’éléments carbonisés (le feu), se déploie à la verticale une pyramide. Coloquintes, pommes de pin, champignons et herbiers tapissent une étagère, socle touffu pour les animaux, dominés évidemment par l’homme. L’air, l’espace, le ciel sont représentés par des oiseaux naturalisés, des papillons et quelques ouvrages de vulgarisation scientifique.
Juste avant d’en arriver à Dieu, la jolie harmonie disjoncte. On pense à un emballement des espèces, une dégénérescence sévère qui ferait du merveilleux monde de Disney notre prochaine forêt vierge. Mickey, Winnie, Pikachu, les sympathiques personnages de dessins animés trônent au faîte de la hiérarchie à l’étage des « anges et des êtres imaginaires » dénaturés par le marketing et les matières synthétiques ! L’humour préside l’art de Mark Dion avec ce dérapage contrôlé qui désamorce le sérieux apparent de l’assemblage précieux et millimétré de l’armoire aux merveilles.

Nature morte
La symbolique des objets
Theatrum mundi fonctionne comme un polyptyque dont le panneau central est occupé par le corps principal de l’armoire, semblable à un sarcophage. Son occupant joue un rôle charnière reliant la culture à la nature. Il rappelle aussi le squelette allongé par Masaccio au pied de la Trinité qu’il peignit pour l’église de Santa Maria Novella vers 1425 à Florence, qui soulignait ainsi pour le dévot sa simple qualité de mortel.
Déréglant quelque peu ce memento mori (souviens-toi que tu vas mourir), Dion a placé au-dessus de cet avertissement une pie empaillée. Suivant les configurations, l’oiseau symbolise autant la mort que la prévoyance. Voleur dans les traditions populaires, il peut ici fonctionner comme l’avertissement que l’homme est soumis aux forces de la nature.
L’ensemble est une mine de symboles rappelant les natures mortes et notamment les vanités comme celle de Georg Hainz de 1666, L’Écrin, vanitas vanitatum, subtil assemblage d’un crâne et d’une collection de… curiosités.

Autour de l’exposition

Informations pratiques « Mark Dion, The Natural History of the Museum », jusqu’au 29 avril 2007. Carré d’art de Nîmes, 16, place de la Maison-Carrée, Nîmes (30). Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 € et 3,70 €. Tél. 04 66 76 35 70.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°589 du 1 mars 2007, avec le titre suivant : Mark Dion

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