L’artiste, active au XIXe dans un village du Centre, a beaucoup produit d’objets en grès ornés de figures féminines.
La Borne-Henrichemont (Cher). Entre Sologne et Sancerrois serpente une veine d’argile qui a donné naissance au village potier de La Borne. C’est ici qu’a vécu et travaillé une femme exceptionnelle, Marie Talbot (1814-1874), à laquelle le musée du village consacre une exposition commémorant le 150e anniversaire de sa mort. Le commissaire, Renaud Régnier, a réuni plus de 80 grès de la potière, le plus grand ensemble de ses œuvres jamais présenté.
Elle n’est pas une inconnue : son nom apparaît dans des catalogues de ventes publiques et de musées français. Les informations la concernant sont cependant souvent erronées, sans doute parce que le nom de Talbot est répandu à La Borne et qu’on peut confondre une lignée avec une autre. Pourtant, Marie est la première femme potière identifiable de La Borne car, grand privilège dans ce milieu d’artisans, elle signait certaines de ses œuvres. Si le mystère demeure autour d’elle, comme l’écrit Renaud Régnier dès la première phrase du catalogue de l’exposition, quelques jalons de sa vie ont pu être précisés. On en est réduit à faire des suppositions sur ce qu’a pu être le reste de son existence – dans un roman qui paraît en ce mois de septembre, La Poète aux mains noires (éd. Gallimard/L’Arpenteur), l’autrice Ingrid Glowacki lui prête ainsi une amitié avec George Sand…
La potière, dont on connaît environ 200 œuvres sur une production sans doute très importante, n’est née ni Marie ni Talbot. Elle était la fille non reconnue d’un autre grand potier imagier de La Borne, Jacques Sébastien Talbot, et de Jeanne Brulé, son employée. Celle-ci était également la sœur de la dernière épouse décédée du potier, deux fois veuf et père de cinq enfants. Élevée dans la maison de son père, la petite Jeanne Brulé (qui porte le même nom que sa mère) devient vite Marie, peut-être en souvenir d’une demi-sœur morte avant sa naissance. Elle changera son nom en Talbot en 1821, après le mariage de sa mère avec un neveu de son père, Jean Talbot-Bouton, lui-même potier. Sans aucun doute arrangée par Jacques Sébastien, cette union permettait notamment à celui-ci d’assurer l’avenir de sa fille car on constate qu’en 1839, peu avant son mariage avec un propriétaire fabricant de poteries, Marie reçoit en dot plusieurs biens de Jean Talbot-Bouton. On en retient un droit de cuire au four à pots commun au village de La Borne, four qu’utilise aussi Jacques Sébastien.
Car, fait unique à notre connaissance, la jeune femme est devenue une potière imagière au côté de son père dès 1830 ou 1831. En témoigne une fontaine représentant un homme dont le modelé du visage annonce les œuvres postérieures de Marie. Dans l’exposition, la juxtaposition de pichets signés du père et de la fille représentant des personnages masculins montre bien leur différence de style. Ce sont des figures féminines qui feront pourtant la gloire de la potière. Fontaines ou bouteilles, elles représentent des femmes debout, le plus souvent les mains posées sur le ventre peut-être en signe de fécondité. S’inspirant la plupart du temps de gravures de mode de l’époque romantique (caractérisée par la manche gigot), l’artiste peaufine les ornements, soigne les visages, des portraits réalistes à la limite de la caricature. Certains (lorsqu’elle n’a pu rencontrer la destinataire de la commande ?) sont probablement des autoportraits. Elle exprime sa créativité dans les coiffes empesées, les bonnets tuyautés et les turbans, les couronnes, les chapeaux ornés de rubans ou de plumes, les boucles entourant les visages, les frisottis, les anglaises, les grosses tresses horizontales surmontant la coiffure. Ces grès de prix étaient sans doute des cadeaux de noces pour des femmes parfois identifiées par une inscription. D’autres font preuve d’étrangeté : femme-souris (reprise d’une estampe de 1830), sorcière portant une bosse dans le dos, femme à cornes et oreilles de vache, tous crocs dehors… Une sainte Solange portant sa tête, des hommes en robe (prêtre, mamelouk) et des religieuses voilées complètent ce petit peuple dont d’autres membres restent encore à redécouvrir puisqu’on sait que la potière a travaillé jusqu’à sa mort.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°638 du 6 septembre 2024, avec le titre suivant : Marie Talbot, potière des femmes