Pour la première fois, les Canadiens peuvent découvrir l’œuvre de René Magritte, présentée avec ampleur au Musée des beaux-arts de Montréal. Cette rétrospective veut à la fois redéfinir la place de l’idée dans l’art du vingtième siècle et montrer l’influence de Magritte depuis les années cinquante. Bien qu’il ait pris ses distances, de façon parfois péremptoire et caustique, avec le Surréalisme, Magritte reste perçu à travers ce filtre, plus déformant qu’éclairant. Avec Chirico, il est en effet l’un des rares artistes à avoir pratiqué un art de l’idée.
MONTRÉAL - Pour la première fois, le public canadien va pouvoir découvrir l’œuvre de René Magritte, présentée avec ampleur au Musée des beaux-arts de Montréal. Une exposition itinérante avait été présentée à Londres et New York en 1993, tandis que David Sylvester publiait le premier volume du catalogue raisonné.
Une autre exposition se tiendra au Hammer Museum de Los Angeles en automne, alors que se prépare une célébration nationale du centenaire à Bruxelles, prévue pour 1998, qui a déjà mobilisé les prêteurs. La rétrospective conçue par Didier Ottinger (après Montréal, elle ira à Düsseldorf à la fin de l’année) souhaite à la fois redéfinir la place de l’idée dans l’art du vingtième siècle et montrer l’influence de Magritte depuis les années cinquante.
Bien qu’il ait lui-même pris ses distances, de façon parfois péremptoire et caustique, par rapport au Surréalisme, Magritte reste perçu à travers ce filtre, plus déformant qu’éclairant, qui peut en occulter certains aspects majeurs. Avec Chirico, il est en effet l’un des rares à avoir pratiqué un art de l’idée. "La réponse de Magritte à un art qui place la réponse des mots au-dessus des représentations figurées, écrit Didier Ottinger dans sa préface, consiste en la mise en apesanteur de l’image d’une pipe. La peinture de "l’idée" de la pipe comme revanche des images".
Le choix des œuvres met ainsi en valeur les séries auxquelles les peintre a travaillé des dizaines d’années durant, de façon parfois obsessionnelle. Il ne s’agissait pas pour lui de se répéter sans autre forme de procès, il s’agissait encore moins d’une solution de facilité : un regard attentif permet au contraire d’identifier précisément ses intérêts conceptuels et son souci de réinterprétation d’une même idée.
La "période vache"
Douze thèmes architecturent ainsi l’exposition, des "météores" aux "pétrifications", en passant bien sûr par les "mots", les "rideaux", les "femmes", les "tableaux dans le tableau" ou les "polyptiques", qui donnent la mesure du programme offensif de Magritte vis-à-vis de la peinture et de la rigueur de sa cohérence. De nombreuses œuvres majeures ont fait le voyage à Montréal, comme Le modèle rouge de 1950, La Trahison des images, le célébrissime Empire des lumières de 1954, ou encore Les Voies et les moyens, l’une des œuvres les plus corrosives de la "période vache".
Cette exposition tente aussi de faire le point sur l’héritage de Magritte dans l’art contemporain. Robert Gober, Joseph Kosuth, Robert Racine, Michæl Snow ou Strutevant contribuent à l’exposition avec des œuvres qui citent explicitement Magritte, comme le fait le Canadien Robert Racine, ou l’évoquent de façon plus oblique, tels Gober ou Snow. Ces dialogues de Magritte avec l’art contemporain rendent sans aucun doute son œuvre plus actuelle.
RENÉ MAGRITTE, jusqu’au 27 octobre, Musée des beaux-arts, Montréal, tlj sauf lundi 11h-18h, mercredi 11h-21h. Catalogue sous la direction de Didier Ottinger.
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Magritte à Montréal : la place de l'idée dans l'art
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Abonnez-vous dès 1 €Magritte sur CD-Rom
Le Mystère Magritte offre, en huit chapitres et un prologue, une promenade dans l’univers de Magritte. Ce dernier interroge le visiteur avant de le laisser aborder son univers de grelots, de chapeaux-boules, de nuages et de pommes qui n’en sont pas. Le parcours est plaisant, techniquement impressionnant, intellectuellement habile. Magritte était un fabuleux concepteur de CD-Rom : le jeu requiert une gymnastique que le peintre n’aurait pas reniée. Mieux, il l’a lui-même pratiquée lorsqu’il s’agit de faire glisser une fenêtre pour surprendre l’illusion. Sur l’écran comme sur la toile, l’image se fait énigme, et la solution n’est jamais dans l’évidence. Magritte ne se voulait pas tant peintre qu’imagier. Il en offre ici la démonstration. Bien servis par l’artiste, les concepteurs de ce programme ont tenu à rester fidèles au peintre jusque dans la démarche imposée : le jeu consiste donc à "faire parler la peinture" sans jamais rester à un seul niveau de lecture. Toute information entraîne un développement renvoyant à d’autres œuvres, à des commentaires de l’artiste, à des remarques de spécialistes ou à des bribes de films. On peut ainsi se laisser conduire par l’enchaînement du discours ou, au contraire, en percevoir les points de rupture dans l’image que Magritte met en abîme. Ce principe d’enchaînement a été particulièrement bien étudié puisqu’il se retrouve aussi bien au niveau graphique, avec les fenêtres que chacun pourra ouvrir, qu’au niveau musical, avec des thèmes qui orientent la lecture, avec des voix qui conduisent l’évocation sans rompre le mystère.
Le Mystère Magritte, CD-Rom conçu par Virtuo, 2 490 FB.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : Magritte à Montréal : la place de l'idée dans l'art