Après le succès de l’exposition sur le thème de la fenêtre, la Fondation de l’Hermitage réitère cette manière de regarder l’histoire de l’art par un aspect très particulier et propose de découvrir les divers aspects de l’ombre.
Avec une sélection de cent quarante œuvres (pour quatre-vingts prêteurs), le parcours balaie pas moins de cinq cents ans d’histoire. Son intention est de montrer comment l’artiste a joué sur l’ombre non seulement pour se mettre en scène, mais également pour délivrer des messages indirects. Elle commence naturellement par la question de l’autoportrait dans un clair-obscur, et par celui par qui tout vient, l’artiste et le premier, Rembrandt, qui en a compris de façon magistrale le jeu et les intentions, suivi d’un autoportrait de Delacroix surgissant littéralement de l’ombre et prêt à affronter son destin. On ne peut parler de l’ombre sans citer le « luminisme » et la révolution caravagesque, notamment avec Lucas Cambiaso et Jordaens, qui utilisent l’ombre projetée et travaillent également le coloris. La salle suivante, consacrée aux mythes, illustre, à travers une œuvre de Suvée, le mythe de Pline, selon lequel l’origine du dessin est liée à une ombre : celle de l’amant que sa fiancée « capture » au poinçon sur le mur. La dramatisation des paysages est l’affaire des artistes nordiques, et cette œuvre de Caspar Friedrich toute en nuances, traite de ce que l’ombre a à voir avec la perspective, le modelé, le volume des silhouettes. Parmi les points forts de l’exposition, figure l’ombre en couleur des impressionnistes représentée par cette peinture quasi abstraite de Monet représentant la silhouette de Westminster s’étalant sur l’eau. Les post-impressionnistes ne sont pas en reste dans le traitement de la mobilité chromatique de l’ombre projetée avec ces deux merveilleux tableaux de Joaquin Sorolla, autre belle découverte du parcours. L’ombre masque, l’ombre démasque, l’ombre dramatise, l’ombre matérialise, de nombreuses émotions sont véhiculées instinctivement par l’ombre dans notre culture visuelle. L’inquiétude, la peur, le paradoxe sont également représentés par les artistes symbolistes, surréalistes, expressionnistes, dont Munch. Les usages de l’ombre dans la création contemporaine sont quant à eux déclinés à travers les œuvres emblématiques de Warhol, Picasso, Boltanski… Voilà un sujet facile rendu passionnant par un choix juste d’œuvres de haut niveau.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°726 du 1 septembre 2019, avec le titre suivant : L’ombre sous la lumière