En évoquant l’art du livre arabe, al-kitâb, à travers quelque 140 pièces – manuscrits, reliures, imprimés et objets – provenant en majorité de ses collections, la Bibliothèque nationale de France, à Paris, s’immisce dans le monde arabo-musulman du VIIe siècle à nos jours. Intelligemment conçu, le parcours, à la fois thématique et chronologique, suit l’élaboration du livre, des premiers manuscrits sur papyrus aux débuts de l’imprimerie, et se prolonge avec les regards d’artistes contemporains.
PARIS - Dans le monde arabe, au VIIe siècle, après la révélation coranique, un art du livre original, intimement lié à la religion musulmane, voit le jour. Pour évoquer son histoire, la Bibliothèque nationale de France, à Paris, a imaginé un parcours suivant les différentes étapes de la composition d’un livre, de son support – papyrus, parchemin et papiers – à sa reliure, en passant par l’écriture, la décoration, l’illustration et, plus tardivement, l’impression. Sur le papyrus et le parchemin, deux supports courants de l’écriture, étaient transcrits les paroles du Prophète ainsi que des recueils de traditions, tel Al-Muwattâ (Le Chemin aplani) de Mâlik ibn Anas, ouvrage essentiel de l’école juridique malékite composé au VIIIe siècle. Apparu par la suite, le papier le plus souvent utilisé était marbré ou sablé, même s’il existe de luxueuses exceptions comme le coran de couleur pourpre (vers 1405), entièrement constitué de papier coloré et écrit à l’encre d’argent, et peut-être inspiré du Coran bleu également exposé. Au support succède l’écriture, qui joue un rôle à la fois religieux, utilitaire et ornemental. Répondant à la nécessité de magnifier la parole sacrée, la calligraphie s’est imposée dès les premiers corans comme une composante essentielle de l’art arabo-musulman. En témoignent la pureté des écritures coufiques, les courbes ornementales du style maghrébin ou encore les longues boucles des graphies persanes.
Palmettes, rosettes et arabesques
L’interdit religieux de la représentation des êtres vivants a favorisé l’épanouissement du décor et de l’enluminure. Les “pages tapis” (pages dépourvues de textes) des corans, les galons et entrelacs géométriques, les médaillons et vignettes rehaussés d’or rythment le texte sacré. Dans les pages tapis d’un Pentateuque égyptien (1353), bordées d’une bande à décor d’arabesques et de motifs floraux, se développe ainsi un motif dont le centre est une étoile à dix branches tandis que les pages tapis des corans andalous, reconnaissables à leur format souvent carré et à leur composition compartimentée de polygones étoilés, créent l’illusion de l’infini. Les manuscrits présentés témoignent aussi d’une grande variété de colorants, la couleur la plus répandue étant l’or qui, conjuguée avec le bleu, confère au document une valeur ésotérique symbolisant “la matérialisation de la lumière de l’esprit divin sur l’espace infini des cieux”, précise Marthe Bernus-Taylor dans le catalogue. Les décors enluminés participent à l’embellissement du texte, en accentuant les traits de la beauté divine, et améliorent également sa compréhension, en signalant ses différentes parties. Un bandeau meublé de motifs géométriques – cercles, triangles, arabesques, tresses et éléments imitant le tissage ou dérivés de la flore –, ponctués de petites rosettes ou palmettes, est ainsi fréquemment utilisé pour séparer deux sourates. À l’image du très célèbre Kitâb al-Diryâq – Livre de la thériaque de 1199 –, recueil de textes sur la préparation d’une antidote, les livres non religieux étaient aussi enluminés. Moins importante que l’enluminure ou la calligraphie, la peinture a connu une courte période de développement de la fin du XIIe au début du XIVe siècle. Elle servait à illustrer les ouvrages scientifiques et techniques – traités de botaniques, de pharmacologie, de médecine, zoologie – ou littéraires, comme le texte des Maqâmât (Livre des Séances), l’un des plus célèbre de la littérature arabe, élaboré au XIe siècle par al-Harîrî. Avant de conclure sur des créations contemporaines récentes sur le thème de l’écriture, l’exposition rappelle que ce n’est que tardivement, au milieu du XIXe siècle, que l’imprimerie a commencé à concurrencer réellement la copie manuscrite, dans le monde arabo-musulman.
- L’ART DU LIVRE ARABE. DU MANUSCRIT AU LIVRE D’ARTISTE, jusqu’au 13 janvier, Bibliothèque nationale de France, site Richelieu, Galerie Mazarine, 58 rue Richelieu, 75002 Paris, tél. 01 53 79 53 79, tlj sauf lundi et jours fériés, 10h-19h, et 12h-19h le dimanche. Catalogue, 224 p., 280 F (42,69 euros).
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Abonnez-vous dès 1 €En complément à “L’Art du livre arabe”?, le site François-Mitterrand de la BNF (tél. 01 53 79 59 59, jusqu’au 13 janvier) met en exergue l’œuvre d’Idrîsî, emblématique d’une conception éclairée du monde au Moyen Âge. Œuvre de commande réalisée au XIIe siècle par un géographe arabe pour le compte du roi normand de Sicile Roger II, l’Atlas d’Idrîsî témoigne des échanges entre les trois mondes riverains : Byzance, les pays de l’Islam et la chrétienté occidentale. Pour cette saison orientale, les galeries de Tolbiac montrent également des photographies d’un “Voyage en Orient”?, datant de 1840 à 1880.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°137 du 23 novembre 2001, avec le titre suivant : À lire entre les lignes