Le Musée des beaux-arts de Gand consacre une grande exposition au peintre du XVIIe siècle, trop longtemps resté dans l’ombre de ses contemporains Rubens et Van Dyck.
Les dieux de la peinture sont parfois cruels. Il faut en effet être retors pour faire naître un brillant artiste dans la même ville et à la même époque que Rubens et Van Dyck. Difficile, même pour le peintre le plus talentueux, de ne pas voir son étoile éclipsée par ces deux géants, a fortiori dans une tradition historiographique qui a longtemps privilégié les récits biographiques et hagiographiques. Ainsi, en dehors des amateurs les plus aguerris de la peinture du XVIIe siècle, qui connaît encore l’œuvre de Theodoor Rombouts ?
Ce manque de notoriété n’est au demeurant pas nouveau, mais il survient rapidement après sa disparition en 1637, à l’âge de 40 ans à peine. Au moment de son décès, il est pourtant couvert de commandes, d’éloges et de reconnaissance, y compris de ses confrères les plus en vue. Sous le délicat portrait à la plume qu’il trace de son collègue, Van Dyck le qualifie ainsi de « peintre des figures humaines anversoises », hommage à son art consommé pour croquer les trognes de ses contemporains avec jovialité et vérité. L’admiration dont il jouit ne l’empêche toutefois pas de disparaître des radars. À la fin du XIXe, des spécialistes s’émeuvent déjà du sort que le destin lui a réservé. À l’image de Max Rooses qui voit en lui « le maître anversois envers lequel la postérité s’est montrée la plus injuste », puisqu’il « a obtenu la moindre part de la renommée à laquelle il pouvait prétendre ». Le critique d’art belge ne pensait sans doute pas être à ce point prophétique, car il aura fallu attendre près d’un siècle et demi après son constat pour qu’un musée lui consacre enfin sa première exposition monographique ! Ce n’est pas Anvers, mais Gand, qui entretient une longue histoire avec Rombouts, qui relève ce défi. Il s’agit en effet d’un challenge, car il fallait non seulement réunir les œuvres dispersées, mais surtout mener des recherches pointues sur un artiste sur lequel il restait encore beaucoup à découvrir. À commencer par redéfinir le corpus d’un peintre dont les œuvres ont souvent été confondues avec celles d’autres. Non sans raison, puisque Rombouts a justement bâti sa réputation de son vivant sur sa faculté à savoir s’approprier ce qui plaisait tant chez ses confrères, créant un melting-pot sans précédent, un grand écart entre le caravagisme et le baroque du Nord.
L’artiste précoce, qui commence sa carrière à 11 ans seulement, se forme d’abord chez Abraham Janssen avant de plier bagages pour rallier Rome, la Mecque de l’art moderne. Fasciné par Caravage et son plus illustre suiveur Manfredi, Rombouts embrasse sans réserve la révolution esthétique du clair-obscur et du naturalisme qui bouleverse l’Europe entière. S’il adopte le style et les thèmes qui font florès, il ne se cantonne toutefois pas à des copies serviles, mais invente une patte personnelle intégrant des accents typiquement rubéniens. Il se distingue surtout par sa virtuosité dans les natures mortes, qui deviennent sa marque de fabrique. Tout comme la palette éminemment personnelle qu’il développe, faisant la part belle à des teintes éclatantes. Ses personnages arborent ainsi de somptueux costumes rouges, violets ou encore bleus. Des détails qui deviennent la signature de ce fils de tailleur flamand dont la clientèle s’arrache alors les toiles.
Entre Rombouts et Gand, c’est une longue histoire d’amour. Cette vaste composition est, en effet, la toute première œuvre ancienne acquise par le musée en 1860. Elle est depuis devenue l’une des préférées du public. Il faut dire que la peinture est particulièrement originale, puisque le peintre a révolutionné le genre en remplaçant les allégories féminines par des personnages masculins hauts en couleur inspirés du Caravage. Leurs attributs illustrent chacun des sens et sont porteurs d’une signification morale.
En digne héritier du Caravage, Rombouts s’illustre avec brio dans les tableaux de musiciens. Le peintre excelle tout particulièrement dans la représentation fidèle des instruments et des objets, à l’image de la chope et des livres de musique qui occupent ici le premier plan. Le Joueur de luth est d’ailleurs l’un de ses plus grands succès, puisque l’on sait qu’il en a réalisé au moins douze versions. L’exemplaire conservé au Philadelphia Museum of Art est considéré comme le tableau le plus abouti.
Comme son modèle italien, Rombouts fait son miel des scènes populaires et triviales. Il reprend ainsi le sujet de l’arracheur de dents immortalisé par Caravage. Toutefois, il se distingue en gommant la nature violente et sanguinolente de l’épisode. Moins sombre et plus axé sur le caractère anecdotique, le tableau du Flamand offre une superbe nature morte composée d’instruments de torture et de chicots malades. Le peintre facétieux se serait par ailleurs portraituré sous les traits du charlatan.
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L’injuste postérité de Theodoor Rombouts
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°763 du 1 avril 2023, avec le titre suivant : L’injuste postérité de Theodoor Rombouts