L’exposition proposée au Centre Pompidou par Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss est la première d’une série d’expositions thématiques qui revisitent le siècle. Le choix et la présentation des œuvres de L’informe ne laissent pourtant nullement soupçonner l’ambition du propos.
PARIS - L’une des initiatives les plus visibles de François Barré, ci-devant président du Centre Pompidou, aura été de confier à des universitaires la conception et la réalisation d’expositions. La première de cette série (Georges Didi-Huberman et Hubert Damisch en préparent également deux) est due à Yve-Alain Bois, professeur à Harvard, et à Rosalind Krauss professeur à Columbia, et prend pour point de départ la notion d’informe telle qu’elle fut exprimée par Georges Bataille (voir le JdA n° 25, mai 1996). L’entreprise, avec les ambitions qu’affichent les auteurs de relire l’art moderne, n’a rien d’évident. D’autant moins que l’exposition elle-même (essentiellement élaborée à partir des collections permanentes du musée) offre peu de prise au regard.
Convertir Bataille
Pollock, Rauschenberg, Warhol, Smithson, Bob Morris en sont les héros, Burri, Fontana, Dubuffet, Wols et Fautrier, les comparses. De ce point de vue, l’exposition échoue à relire quoi que ce soit, et jusque dans les choix d’artistes contemporains, perpétue au contraire sans nuances la perspective de l’impérialisme américain. Les œuvres sont toutes d’excellente qualité et impeccablement présentées : personne, naturellement, ne pouvait s’attendre à une exposition "informe". Pourtant, l’ordre qui y règne est implacable : de la section "bas matérialisme" à la section "entropie", le parcours est fléché, et les œuvres sont réduites à de simples illustrations, au mieux à des pièces à conviction.
Mais les auteurs ne cherchent pas à emporter la conviction ; ils prétendent d’emblée qu’il y aurait une "valeur d’usage" de l’informe. Étonnant coup de force. Cet abus de langage est camouflé tant bien que mal par des disputes rhétoriques. Avant tout écrivain, Bataille n’était avare ni de contradictions ni d’apories, généreusement distillées avec plus ou moins de bonheur dans ses essais et ses romans, dominés par la passion et l’excès. C’est évidemment abuser de sa pensée que de vouloir réécrire l’histoire de l’art à partir d’une notion qui, selon ses propres termes, sert avant tout à "déclasser" et se prête d’autant plus mal à une reconsidération des valeurs modernes.
La (difficile) lecture du catalogue, dont le design se veut curieusement "jeune", confirme à la fois l’approche dogmatique et utilitariste des œuvres et le souci de faire système. L’art devient l’otage de singuliers règlements de comptes. Clément Greenberg, Jean Pauhlan ou Michel Tapié, Joseph Beuys ou l’Art minimal en font extensivement les frais avec une suffisance qui serait pathétique si elle n’était ridicule. Bien mieux que l’exposition, ce livre-catalogue rend compte des arrières-pensées des auteurs, sans qu’il soit aisé, cependant, de démêler les intérêts intellectuels d’intérêts plus prosaïques.
L’INFORME : MODE D’EMPLOI, jusqu’au 26 août, Centre Georges Pompidou, Galerie Sud, tlj sauf mardi 12h-22h ; samedi, dimanche et jours fériés, 10h-22h. Catalogue de Yve-Alain Bois et Rosalind Krauss
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L’informe en coupe réglée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°27 du 1 juillet 1996, avec le titre suivant : L’informe en coupe réglée