ROME / ITALIE
L’une des plus fabuleuses collections privées de statues grecques et romaines au monde est présentée au grand public après avoir été cachée pendant plus de cinquante ans.
Rome. Enfin ! Le confinement a retardé de sept mois l’inauguration de l’exposition « Les marbres Torlonia », mais le public n’en était plus à quelques mois près. Depuis un demi-siècle personne ne pouvait plus admirer la plus importante collection privée de statues et bustes antiques du monde. Des affaires de spéculations immobilières doublées de querelles d’héritage, avec son lot de mises sous séquestre par la justice, la condamnaient à l’obscurité. Elle gisait au fond de caveaux au rez-de-chaussée d’immeubles appartenant à l’une des plus prestigieuses familles de l’aristocratie romaine. 15 % de la collection, soit 92 pièces sur les 620 qui la composent, sont donc enfin exposées, jusqu’au 29 juin prochain au Palazzo Caffarelli au sein des musées capitolins à Rome.
L’exposition est le fruit d’une collaboration public / privé entre le ministère de la Culture italien, la Fondation Torlonia et le joaillier Bulgari qui a financé la restauration des œuvres. Si le montant n’a pas été précisé, il devrait être supérieur au 1,5 million d’euros versé en 2014 pour restaurer l’escalier monumental menant de la place d’Espagne à l’église française de la Trinité-des-Monts, à Rome.
La sélection des œuvres a été confiée aux éminents archéologues et historiens de l’art, Carlo Gasparri et Salvatore Settis. « L’exposition ne raconte pas l’histoire d’une collection romaine, affirme ce dernier, mais celle de l’envie de collectionner en général. » Celle d’une famille de l’aristocratie romaine d’origine française qui fit fortune à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle dans le négoce de tissus, puis dans la finance. Elle est constituée grâce aux achats dans les ventes aux enchères, aux objets déposés en garantie par de nobles clients désargentés en échange de prêts, aux alliances matrimoniales, mais aussi via les campagnes de fouilles archéologiques menées sur leurs nombreux domaines.
En 1875, un Musée Torlonia ouvre dans l’un des palais de la famille et, en 1884, leur collection est l’une des toutes premières à faire l’objet d’un catalogue photographique détaillé. Le musée ayant fermé dans les années 1940, regarder ces clichés jaunis était jusqu’à présent l’unique possibilité pour admirer ces statues antiques.
« Nous proposons au visiteur un parcours à rebours à travers cinq salles, explique Carlo Gasparri. La première présente une série de bustes rappelant le Musée Torlonia avant de poursuivre par les fouilles archéologiques du XIXe siècle. Viennent ensuite les collections de la Villa Albani achetée en 1866 par les Torlonia et du célèbre sculpteur Bartolomeo Cavaceppi rassemblées au XVIIIe siècle. Suivent celles du marquis Vincenzo Giustiniani remontant au XVIIe siècle avant de terminer par celles réunies au XVe et XVIe siècle. C’est une histoire assez complexe que le public, je l’espère, pourra comprendre. »
Rien n’est moins sûr. Le changement de couleurs des murs fait pratiquement figure d’unique indication pour expliquer des œuvres d’une indéniable qualité. Mais cela n’enlève rien à l’éblouissement qui saisira le visiteur… au sens propre. Les bustes et statues d’empereurs romains, de philosophes ou de Dieux sont d’une exceptionnelle blancheur et ne semblent pas avoir traversé les siècles.
La restauration et l’admirable travail de documentation scientifique détaillée a été confié à Anna Maria Carruba et à son équipe. C’est l’une des restauratrices italiennes les plus réputées qui a notamment redonné tout son éclat à la Louve capitoline. Mais les restaurations précédentes, menées notamment au XIXe siècle, ont ôté toute leur patine aux œuvres. La collection du cardinal Albani, qui a ensuite conflué dans celle des Torlonia, a été cataloguée par son secrétaire, l’historien de l’art Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), pour qui la blancheur était consubstantielle à l’œuvre antique. Un précepte un peu trop scrupuleusement appliqué.
Les bustes et statues s’alignent élégamment dans une sobre scénographie de l’architecte David Chipperfield. Le choix du Palazzo Caffarelli comme lieu d’exposition a été plus politique que pratique pour impliquer la municipalité de Rome dans le projet. La vue sur les toits de la capitale est certes somptueuse, mais les pièces sont trop exiguës pour la taille de certaines œuvres.
« D’autres expositions sont prévues dans un second temps à l’étranger dans des lieux tout aussi prestigieux », s’est félicité Alessandro Poma Murialdo, président de la Fondation Torlonia. Si la pandémie de Covid-19 le permet, Paris puis New-York pourraient être les prochaines étapes d’une collection qui reviendra ensuite en Italie. Où précisément ? Personne ne le sait encore. Depuis les années 1960, que ce soit avec la mairie de Rome ou l’État, trois projets de musée ont été lancés. Aucun n’a abouti, pas plus que le rêve du prince Torlonia d’en construire un tout nouveau pour sa collection. Finira-t-elle dans une des demeures princières ? ou l’État mettra-t-il à disposition l’un de ses bâtiments ? mais surtout qui financera les travaux ?
La saga des « Marbres Torlonia » n’est pas terminée, mais son épisode le plus intéressant reste l’exposition de ces chefs-d’œuvre trop longtemps cachés au public.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°554 du 30 octobre 2020, avec le titre suivant : L’exposition de la collection Torlonia enfin ouverte à Rome