Le Musée des beaux-arts de Nancy aborde un peu trop sagement la thématique du monstre, en survolant l’histoire de l’art
NANCY - En 1932 sort en salles un long métrage, désormais culte, réalisé par Tod Browning : Freaks. Plongée terrifiante dans l’univers des « monstres de foire », l’œuvre renvoie le spectateur à ses propres angoisses et démons cachés. En reprenant à son compte cette thématique du monstre, le Musée des beaux-arts de Nancy faisait à ses visiteurs la promesse d’une expérience singulière. Mais, là où le film de Browning a su marquer les esprits, l’institution nancéienne se échoue à dégager une problématique précise. Survolant, pêle-mêle, plusieurs siècles d’histoire de l’art, du XVe siècle à nos jours, le parcours aborde les différents visages du monstre, source inépuisable d’inspiration pour les artistes, injure au créateur ou incarnation du mal qu’il faut combattre, objets de curiosités ou prémices à la caricature politique… Le choix des œuvres, parmi lesquelles on compte une majorité de gravures et d’imprimés, et la scénographie paraissent l’un et l’autre bien sages au regard du thème initial. Même la photographie d’Orlan, où l’artiste, affublée d’un masque, tente de sortir de son cadre, n’y suffit pas au milieu de cette grande parade d’êtres fantastiques. En tête de cet étrange défilé figurent les sphinx gravés par Lucas van Leyden en 1528 ou celui peint par Gustave Moreau en 1888 dans Le Voyageur, le tout surmonté de grands chevaux marins sculptés par l’atelier de l’arsenal de Cherbourg (vers 1830) et suspendus au plafond. Aux côtés des créatures effrayantes sorties tout droit des œuvres graphiques de Dürer, Martin Schongauer ou Jacques Callot, La Chauve-Souris (1946) de Germaine Richier, une Demi-Poupée (1972) de Bellmer, des formes organiques conçues par Jean-Charles Blais (1994) ou le chien-renard naturalisé par Thomas Grünfeld (1996) prennent, à leur tour, possession des lieux. Si le mélange des arts ancien et contemporain fonctionne plutôt bien, il n’apporte aucune dimension supplémentaire à une réflexion généraliste, dépourvue de repères chronologiques.
Monstre gracieux
L’ensemble offre au regard peu d’œuvres spectaculaires ; citons cependant la toile d’Agostino Carracci, Arrigo Gonzales, le bouffon Pietro et le nain Rodomonte (vers 1598-1599), prêtée par le Musée de Capodimonte (Naples) et choisie, non par hasard, comme emblème de l’exposition. Dans ce tableau, longtemps considéré comme « une satire du naturalisme caravagesque », comme l’explique dans le catalogue la commissaire de la manifestation Sophie Harent, l’artiste rend hommage à la nature dans toute sa diversité, sa beauté mais aussi ses imperfections. Le tableau côtoie le fameux Portrait d’Antonietta Gonsalvus (1594-1595) conservé au château de Blois (Loir-et-Cher). Ici, c’est avec douceur et non sans tendresse que Lavinia Fontana a choisi de représenter la jeune fille atteinte d’hypertrichose, cette maladie recouvrant de poils le visage et le corps. Malgré son caractère hors norme, le peintre a su rendre celle-ci gracieuse, une image bien éloignée des Nains souvent grotesques mis en scène dans les tableaux de Faustino Bocchi à la fin du XVIIe siècle, ou de la description quasiment médicale d’un jeune enfant à moitié albinos que fait Joaquim Leonardo da Rocha dans son Portrait de Siriaco (1786). « Le monstre se situe souvent au croisement de la fable, de la morale, de l’histoire, de la philosophie, de l’occultisme, des sciences naturelles et de la médecine », explique Martial Guédron, professeur d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg, à l’initiative de l’exposition dont le postulat de départ était passionnant. Mais en voulant traiter visuellement de tous ces aspects, la démonstration ne fait qu’effleurer le monstre sans éveiller celui qui sommeille en chacun de nous.
BEAUTÉS MONSTRES, jusqu’au 25 janvier 2010, Musée des beaux-arts, 3, place Stanislas, 54000 Nancy, tél. 03 83 85 30 72, tlj sauf mardi et jours fériés. Catalogue, Somogy Éditions d’art, 240 p., 29 euros, ISBN 978-2-7572-300-2.
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L’expérience du monstrueux
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Abonnez-vous dès 1 €BEAUTÉS MONSTRES
Commissaires : Sophie Harent, conservatrice du patrimoine au Musée des beaux-arts de Nancy ; Martial Guédron, professeur d’histoire de l’art à l’université de Strasbourg
Nombre d’œuvres : 190
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°314 du 27 novembre 2009, avec le titre suivant : L’expérience du monstrueux