PARIS
Le Musée du Moyen Âge s’intéresse au passage de l’art roman à l’art gothique. Une démonstration réussie grâce à des prêts de grande qualité dans un espace moins étriqué que de coutume.
Paris. Des prêts exceptionnels et une belle mise en espace : l’exposition que le Musée national du Moyen Âge consacre à la naissance de la sculpture gothique ne manque pas d’atouts. Pour ses « grandes expositions », Cluny est d’ordinaire très contraint par les espaces limitées de son frigidarium, qui ne laissent que peu de place au plaisir de déambuler entre les œuvres. La refonte des parcours de l’institution, qui s’achèvera en 2020, n’y changera rien. Mais le fait qu’une large part du musée en chantier soit actuellement vidé de ses œuvres offrait la possibilité d’annexer temporairement les futures salles consacrées au haut Moyen Âge et à l’art roman. Un espace étendu dont Damien Berné, conservateur à Cluny, et Philippe Plagnieux, professeur à l’Université Paris 1 et à l’École des Chartes, ont profité.
Dans un circuit aéré qui descend jusqu’au frigidarium, les commissaires ont rassemblé environ 130 œuvres – parfois monumentales – qui permettent d’analyser le passage de l’art roman à l’art gothique qui s’est joué entre 1135 et 1150 sur les chantiers de Saint-Denis, Chartres ou Paris. Pour faire venir au musée les murs des cathédrales et des églises, les commissaires se sont tournés vers des éléments de sculptures architecturales qui, au cours des siècles, ont été déposés des monuments, afin de les préserver de la démolition ou de l’usure du temps. En 1770, les statues-colonnes des portails occidentaux de Saint-Denis ont été décapitées à la demande des moines. Sur les six têtes préservées (elles sont dispersées entre Cambridge, Baltimore et Paris), le musée en a rassemblé cinq, qui, par leurs yeux globuleux, leur visage inexpressif et leur modelé énergique et brutal, sont encore solidement ancrées dans l’art roman, bien que rattachées à un modèle architectural (la statue-colonne) caractéristique des débuts de l’art gothique.
Le Musée a surtout obtenu de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac) Centre-Val de Loire le prêt de quatre statues-colonnes (entières cette fois-ci), qui n’avaient jamais quitté Chartres depuis 900 ans et qui viennent d’être restaurées. Entre 1967 et 1974, ces reines, rois et apôtre de plusieurs mètres de haut avaient été descendus du portail royal de Chartres, remplacés par des copies et stockés dans une chapelle de la crypte de la cathédrale. À Cluny, ils dominent aujourd’hui en majesté et laissent apprécier la profonde spiritualité qui se dégage de leurs visages et l’extrême élongation des silhouettes qui les détourne de la tradition romane encore perceptible à Saint-Denis. Comme le reste des pièces de l’exposition, ces sculptures sont superbement éclairées. Les panneaux et cartels qui les accompagnent, sont quant à eux d’excellente facture : clairs et confortables à lire. « On ne verra jamais plus une exposition de cette ampleur à Cluny », prophétise Damien Berné. Il s’agit donc de profiter de celle-là.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°510 du 2 novembre 2018, avec le titre suivant : Les premières statues gothiques s’offrent à Cluny