Venus parfaire leurs études en France à la fin du XIXe siècle, les peintres canadiens y expérimentèrent une liberté de regard et de technique dont ils tirèrent profit à leur retour.
Lausanne (Suisse). L’exposition de la Fondation de l’Hermitage, organisée par le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) et qui ira ensuite au Musée Fabre à Montpellier, ne présente pas une supposée école de peintres impressionnistes canadiens. Sous le commissariat de Katerina Atanassova, conservatrice principale de l’art canadien au MBAC, elle « montre comment les peintres canadiens découvrent l’impressionnisme à la fin du XIXe siècle en France, et comment ils réagissent, à travers leur style et leurs sujets, à cette révolution picturale ». Ceci par l’examen de plus d’une centaine d’œuvres de 34 artistes nés entre 1850 et 1900. Avec des fortunes diverses, ces peintres expatriés s’essayèrent à des styles successifs – école de Barbizon, impressionnisme, cloisonnisme, divisionnisme – dont certains tirèrent profit pour inventer leur propre langage.
La présentation est divisée en deux périodes, montrant les œuvres peintes en France puis celles produites plus tard au Canada selon un accrochage thématique. En France, il est intéressant de voir ce que chaque peintre a expérimenté. William Blair Bruce (1859-1906), par exemple, arrive à Paris en 1881 avant de s’installer à Barbizon dès 1882 puis de déménager à Giverny en 1887. L’exposition le présente comme le grand peintre impressionniste canadien (ceci en s’appuyant sur l’assez maladroit Paysage avec coquelicots [1887] alors que d’autres œuvres de la période de Giverny lui rendent mieux justice). Il est dommage de voir seulement cet aspect de sa production quand on sait qu’il est aussi l’auteur du Chasseur fantôme, exposé au Salon en 1888, d’une facture beaucoup plus réaliste malgré son sujet tiré d’un poème. Il faut d’ailleurs noter que beaucoup de ces peintres s’inspiraient plus volontiers de Jules Breton ou de Jules Bastien-Lepage que de Monet ou de Pissarro. La persistance de l’empreinte impressionniste ne s’observe guère que chez Henri Beau (1863-1949) ou Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté (1869-1937).
James Wilson Morrice (1865-1924) est un cas à part. Installé plus ou moins en France – ces peintres voyageaient énormément –, il y était assez célèbre, chroniqué dans les journaux et attendu aux expositions. Aimable compagnon de soirées arrosées, il était également apprécié des artistes. Il pratiquait surtout un art consensuel, dont on se demande comment les Canadiens, qui comptent de très grands peintres, peuvent s’être entichés à ce point. Est-ce parce qu’en 2015 le marchand d’art A. K. Prakash a fait don au MBAC de 49 tableaux et aquarelles de Morrice provenant de sa collection ? Pas moins de 14 œuvres du peintre sont accrochées à l’Hermitage. En 2017, en introduction à son exposition « Morrice », le MBAC faisait valoir que Louis Vauxcelles l’avait qualifié, en 1909, de « plus grand peintre nord-américain depuis Whistler ». Certes, mais ce critique d’art est-il une référence ? Rappelons que Vauxcelles est celui qui inventa les termes de « fauve » puis de « cubiste » pour ridiculiser (du moins l’espérait-il) des artistes qu’il poursuivait de sa plume conservatrice.
Dans les premières salles, Hiver à Moret (1895) de Maurice Cullen attire le regard. On retrouve le talent de ce peintre dans la section consacrée aux œuvres canadiennes, notamment dans des vues nocturnes ou de brouillard. Il est concurrencé par Clarence Gagnon (1881-1942) dont Le Train en hiver (1913-1914, voir ill.) est un hymne aux grands espaces. Couleur et lumière sont aussi présentes dans les paysages et scènes urbaines de David B. Milne, chez les membres du Groupe des sept, dans les magnifiques toiles de Lawren S. Harris, A. Y. Jackson ou J. E. H. MacDonald, et, bien sûr, chez Tom Thomson dont on peut admirer Splendeur d’octobre (v. 1916) et Première neige (1916). En fin de parcours, deux très beaux portraits – Anna (v. 1927) de Prudence Heward et Ludivine (1930) de Edwin H. Holgate – complètent ce survol de la peinture canadienne du début du XXe siècle.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Les peintres canadiens à l’école de la lumière