Convoquant l’imaginaire, les œuvres de la peintre norvégienne invitent à suivre les contours de ses panoramas abstraits.
BIGNAN - Il y a des œuvres d’art qui s’imposent immédiatement. Paul Éluard parle de « l’évidence poétique ». C’est indiscutablement l’émotion qu’on ressent face aux toiles d’Anna-Eva Bergman (née en 1909 à Stockholm et disparue en 1987 à Grasse). D’où la difficulté de les « traduire » en mots. Paysages ? Sans doute, mais qui ont peu à voir avec une quelconque topographie ou la description précise d’un site. Dépouillée de tout caractère illustratif, c’est l’architecture secrète de la nature, ses contours ou son échafaudage que nous montre l’artiste norvégienne. Réels ou imaginaires, figuratifs ou abstraits, ces paysages sont propices à l’exploration, à des promenades mentales.
Le Domaine de Kerguéhennec a fait le choix d’exposer uniquement la partie abstraite de cette production picturale – plus précisément celle des années à Antibes, où l’artiste s’installe de 1973 jusqu’à sa mort. On peut regretter l’absence de quelques œuvres plus anciennes, d’autant que la peintre d’Anna-Eva Bergman – dont le mari fut Hans Hartung – reste largement méconnue en France. Cependant, l’ensemble présenté est d’une belle cohérence, car il permet de voir toute la richesse du langage plastique de Bergman. Globalement chronologique, le parcours réparti sur deux lieux est organisé selon des séries ou plutôt des thèmes et variations car, écrit l’artiste : « Le résultat n’est jamais tout à fait ce que je voulais, il est un peu différent. C’est pourquoi je reprends plusieurs fois le même motif. »
On peut distinguer deux types de regards posés par Bergman sur la nature. Le premier tente de capter des phénomènes mobiles comme la pluie ou les vagues. Pour ce faire, elle répète le même composant qui envahit toute la toile. Ainsi, les pluies, des gouttes d’or scintillantes, sont réalisées avec des feuilles de métal découpées, dispersées sur la surface (Pluie, 1974). Ailleurs, les vagues sont tantôt des tourbillons décrivant des spirales, tantôt des lignes fluctuantes qui s’approchent ou s’éloignent les unes des autres en traversant la toile (N° 10, 1986). Plus que des paysages, ce sont plutôt les électrocardiogrammes des paysages.
L’autre regard, qu’on peut nommer tectonique, s’arrête sur des formes monumentales (montagnes, roches, nunataks) et dégage une impression de stabilité. La ligne d’horizon, cette ligne inexistante reliant terre et ciel, devient une véritable ligne de séparation qui, paradoxalement bloque l’horizon. Parfois inspiré par des photographies que Bergman a faites dans son pays, le résultat doit plus à l’imaginaire qu’à la topographie. Ici, l’œil chercherait en vain une anecdote : il n’y en a pas. C’est avec ces œuvres aux formats impressionnants que l’artiste réussit à structurer des blocs géométriques dénudés de tout artifice de telle façon qu’ils semblent taillés dans la couleur même. Ou encore condensés dans une courbe, comme avec Montagne en une ligne, 1978. Sur un fond blanc, une simple ligne noire qui forme un coude trace la silhouette d’un sommet. Le titre résume bien ce miracle de suggestion.
Les travaux de Bergman ont une caractéristique commune : l’évacuation systématique de la présence humaine. Dans aucune de ses œuvres, l’homme ne paraît avoir sa place et le paysage ne saurait lui être un décor. Fin de l’illusion anthropocentrique ? Ou, peut-être, tout simplement, ces paysages sont ils des paysages en attente ?
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Les paysages inhabités d’Anna-Eva Bergman
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Abonnez-vous dès 1 €Anna-Eva Bergman, l’atelier d’Antibes, 1973-1987
Jusqu’au 4 juin, Le Domaine de Kerguéhennec, 56500 Bignan.
Légende Photo
Anna-Eva Bergman, N°21-1974, Pluie, 1974, acrylique, modeling paste et feuille de métal sur toile. © Fondation Hartung-Bergman / Adagp, Paris 2016.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°478 du 28 avril 2017, avec le titre suivant : Les paysages inhabités d’Anna-Eva Bergman