Paris. Mon ombre après minuit (1963) est le beau titre de l’œuvre qui accueille le visiteur passé le seuil de la Maison de l’Amérique latine.
Une silhouette, une porte, une silhouette dans une porte ? Si cette sculpture de taille importante offre ces différentes suggestions, elle présente avant tout un jeu entre le plein et le vide, un dessin dans l’espace. Nulle place laissée au hasard dans cette manière d’aborder la matière avec souplesse, de la métamorphoser en signes aériens ; Augustín Cárdenas (1927-2001) pratique autant la dessin sur papier que la ronde-bosse.
L’artiste cubain, moins connu que son confrère Wifredo Lam, a réalisé l’essentiel de son œuvre en France. Arrivé en 1955 à Paris, remarqué par André Breton, il participe rapidement à de nombreuses expositions surréalistes. Sans doute, comme l’écrit Susan Power dans le catalogue, çà et là apparaissent « les figures qui émergent de taches d’encre ou de gribouillages », en une expression proche de l’écriture automatique inspirée par l’inconscient. Cependant, on peut se demander si cette tentative de classer la production plastique de Cárdenas dans la galaxie surréaliste est véritablement justifiée. En réalité, les dessins et les sculptures présentés ici s’inscrivent davantage dans la lignée de l’abstraction biomorphique – l’admiration de l’artiste cubain pour Henry Moore est connue. Comme ce dernier, Cárdenas dessine en sculpteur, ce sont des masses qu’il entreprend de creuser et d’ouvrir. Tout chez lui renvoie à un univers organique, constitué de courbes et contrecourbes, inspirées par une nature aux accents oniriques ou symboliques. Défilent ainsi des formes indéterminées – des fragments de figures humaines, des os entrelacés, des silex, d’étranges totems qui évoquent parfois ceux que l’on trouve en Afrique. Pour autant, faut-il suivre le critique Émile Langui qui évoque « la métaphysique de l’homme africain, intimement mêlée à la nature, [qui] s’enracine dans le sol et évolue avec le cosmos, sous le regard de ses ancêtres » ? (« Cárdenas sculpteur exceptionnel », 1974). Certes, on trouve chez l’artiste des accents archaïques, mais pas davantage que chez Arp ou Miró. À vouloir trop manier le romantisme du sable chaud, trop insister sur la « négritude » de Cárdenas, pour employer un terme cher à Aimé Césaire, on court le risque de réduire la puissance de cette œuvre, imposante, à ses origines ethniques.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : Les dessins sculptés de Cárdenas